À une époque où les micros sont partout, le prêtre comme le pénitent doivent prendre garde à leurs smartphones.Nos smartphones deviennent de plus en plus intelligents, les réseaux sociaux se développent à la vitesse grand V : avec le temps, le respect de notre vie privée risque d’être toujours plus menacé. Dans ce contexte, quel est le risque d’avoir son smartphone sur soi pendant la confession ? Y a-t-il des précautions à prendre ? Si oui, lesquelles ?
« Tous les téléphones sont pourvus de micros, et Facebook ainsi que beaucoup d’autres applications requièrent l’accès au micro et à l’appareil photo », explique le père George Hajj, prêtre à la paroisse maronite de Saint-Antoine de Padoue, aux États-Unis. « On ne sait pas qui pourrait espionner ce qui se dit en confession ni dans quel intérêt. »
Pour le père Andrew Pinsent, directeur de recherche au centre Ian Ramsey pour la religion et la technologie implanté à l’université d’Oxford, la surveillance par les outils de technologie moderne est désormais tellement poussée que cela en ridiculiserait presque les peurs émises dans Big Brother. Elles apparaissent comme datant d’un autre temps, « de l’époque des dinosaures pour ainsi dire », tant les choses ont évolué. C’est pourquoi « une grande vigilance est requise », notamment quand il s’agit de sacrements. « C’est alors notre Salut qui est en jeu, et dans ce contexte, il faut à tout prix que notre intimité soit préservée. »
Par exemple, le père Pinsent recouvre les caméras qui « pourraient être allumées électroniquement » (d’ailleurs le directeur du FBI suggère d’en faire autant). Il se préoccupe aussi des micros intégrés dans les téléphones et dans les ordinateurs (comme le fait Mark Zuckerbeg), et du profilage systématique dont nous faisons l’objet à force de naviguer sur le web. Il considère les assistants électroniques tels Siri ou Echo comme étant « complètement déments du point du vue du [non-] respect de la vie privée ».
Le problème est amplifié par le fait qu’« il y a sur le marché une variété stupéfiante de logiciels d’espionnage à bas coût ». Cela permet à tout le monde – particulier ou gouvernement – de « glaner des informations » s’il le souhaite.
Et pourtant, nombreux sont les prêtres à prendre avec eux leur téléphone dans le confessionnal, car ils considèrent que c’est plus pratique pour célébrer l’office divin qu’un gros livre. Il en va de même pour le pénitent qui préfère utiliser une application pour faire son examen de conscience avant la confession et qui ressort son téléphone pour énumérer ses péchés.
C’est pourquoi le père Pinsent et d’autres souhaitent que l’Église se penche sur ces questions avec attention, et que les évêques bénéficient de conseils d’experts en la matière.
Sommes-nous « écoutés » par Facebook ?
La fonction « écoute » de Facebook fonctionne avec la même technologie d’algorithme que celle qui permet à votre smartphone de reconnaître une chanson dans un restaurant, par exemple. Le téléphone télécharge le signal des ondes musicales que le micro perçoit dans son environnement direct, puis compare ce signal à tous ceux compris dans une immense base de données contenant presque toutes les chansons existantes. Une fois qu’il a trouvé à quelle chanson correspondait le signal d’ondes, il vous transmet l’information. Tout cela se fait quasi-instantanément. Ces mêmes algorithmes « d’écoute » peuvent maintenant reconnaître certains mots ou phrases enregistrés par le micro. Par exemple, si vous êtes en train de parler à un ami d’un voyage en Nouvelle-Zélande, l’algorithme va entendre et identifier le mot « Nouvelle-Zélande » et va ainsi vous proposer des publicités concernant la Nouvelle-Zélande sur Facebook ou Google. Ces mêmes algorithmes pourraient très facilement être programmés pour enregistrer des données à l’écoute de phrases comme : « Bénissez-moi mon Père, parce que j’ai péché ».
Facebook admet que son application est en mesure d’écouter ce qui se passe autour d’elle. Mais après une série de plaintes, le géant américain a publié un communiqué le 2 juin 2016 dans lequel il affirme ne pas utiliser les micros pour « proposer des publicités ciblées ou modifier des informations dans le journal d’actualités ». De plus, le petit texte dit qu’il est « faux » d’affirmer que Facebook « écoute les conversations des gens pour leur soumettre des publicités en conséquence ». Facebook déclare plutôt « qu’il propose des publicités en fonction des différents centres d’intérêts des utilisateurs et des informations apparaissant sur leur profil, mais pas en fonction de ce qu’ils disent à haute voix. »
Que Facebook n’espionne pas nos conversations ne veut pas dire que d’autres ne sont pas en mesure de le faire. L’assistant vocal Echo de chez Amazon le fait en permanence par exemple, sauf si on le désactive. Une manière simple d’éviter ce genre d’écoute indésirable, quand on se confesse notamment, est de couper l’accès au micro. Ou alors de laisser son portable à la maison, dans la voiture, ou de le confier à quelqu’un de confiance pendant une heure ou deux.
Pour savoir qui est en mesure de vous « écouter » sur un iPhone, il suffit d’aller dans Réglages > Confidentialité > Microphone et de voir toutes les applications qui ont demandé à avoir accès à votre micro. Si cela ne vous convient pas, il vous suffit de désactiver ces accès ou ces applications et de ne les réactiver qu’en cas de besoin.
La position du Vatican
La question des confessions potentiellement écoutées ou surveillées n’est pas nouvelle au Vatican.
En 1988, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi s’est prononcée sur la question générale des enregistrements en confession dans un document intitulé « Decretum de sacramenti paenitentiae dignitate tuendam » (Décret concernant l’excommunication de celui qui divulgue les confessions) [AAS 80 (1988) 1367]. Ce bref document décrète que le principe de l’enregistrement et/ou de la divulgation d’une confession sacramentelle « par quelque instrument technique que ce soit » constitue un « crime très grave ». C’est un crime qui touche tellement à la dignité du sacrement qu’il est considéré, en un sens, comme un crime contre la foi, et est de ce fait réservé à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. En d’autres termes, si quelqu’un commet ce crime, seule la Congrégation pour la Doctrine de la Foi est habilitée à en référer. Ce crime est placé dans la même catégorie que les abus sexuels sur mineurs, que l’hérésie ou encore l’apostasie.
Ce crime inclut aussi « la diffusion malveillante » de propos tenus lors d’une confession, que ce soit par le prêtre ou par le pénitent, et que ces propos soient vrais ou non.
Ces règles ont été établies bien avant l’avènement des smartphones et surtout avant le développement de technologies permettant d’activer un micro ou un système d’enregistrement à distance et sans même que le propriétaire du téléphone ne soit au courant. Ces règles sont néanmoins assez générales pour prendre en compte la situation actuelle. Écouter n’équivaut pas à enregistrer, mais les principes sont les mêmes. Si quelqu’un entend ou écoute des propos et les divulgue, c’est un crime malveillant.
Un officiel du Vatican spécialiste de ces questions a expliqué à Aleteia que seuls les prêtres étaient soumis « au sceau de la confession ». Cependant, toute autre personne ayant entendu des propos émis lors d’une confession est elle aussi soumise au « secret » et la violation de ce secret serait considérée comme étant un acte immoral et grave.
Cet officiel du Vatican affirme aussi que si un évêque voulait empêcher les pénitents comme les prêtres de se munir de leurs smartphones pendant la confession, il serait en droit de le faire, mais l’Église ne se prononcera pas pour une interdiction tant qu’il n’y a pas eu de cas d’école. Or il est souhaitable qu’il n’y en ait pas.
Est-il prudent pour les prêtres de confesser avec leurs smartphones dans la poche ? « Non », répond notre spécialiste, « la prudence voudrait qu’on ne permette pas à une hypothèse de se transformer en réalité ».
L’intimité sacrée de la confession
Il poursuit : « Ce qui rend ce sujet si sensible, c’est que lors de la confession, une personne est en position particulièrement vulnérable vis-à-vis de l’autre, et notamment du Christ. C’est vraiment un moment de grande vulnérabilité, et c’est seulement parce qu’on sait que les informations ne seront pas divulguées que l’on accepte de se confesser. Sans cela, personne ne serait d’accord de partager ces choses-là. »
Il note que « l’ère actuelle du selfie met nos faiblesses en valeur », certains les mettant en scène sur les réseaux sociaux pour la gloriole, mais la confession, « ce n’est pas ça du tout ». Personne ne va se confesser pour la gloire. Au contraire, il s’agit de révéler ses faiblesses et ses péchés pour les accepter comme tels et pour les laisser derrière nous.
« En manifestant nos faiblesses lors de la confession, tout ce qu’on peut récolter, c’est le Salut », explique-t-il encore. « Le sceau de la confession protège l’intimité dans ce moment où on se livre totalement. C’est une protection du don que Jésus a fait à Pierre de pouvoir lier et délier ».
Des précautions à prendre pour le prêtre comme pour le pénitent
Au vu de ces points sensibles et de la nécessité de préserver le côté sacré de la confession, le père dominicain Ezra Sullivan, professeur de théologie morale à l’université pontificale Saint-Thomas-d’Aquin à Rome, déclare que « le pénitent a le devoir d’éteindre son micro » afin de s’assurer que « ni son intimité ni celle du prêtre ne soient mises à mal, qu’aucun développeur d’applications ne puisse avoir des oreilles qui trainent lors d’un moment aussi solennel. »
Il va plus loin en affirmant que pendant le temps qu’un prêtre passe à attendre que quelqu’un vienne se confesser, celui-ci « a une opportunité unique de prier pour les pénitents qui vont se présenter à lui, de se préparer à recevoir des inspirations sur la meilleure façon de les conseiller, et de demander à Dieu de mener plus de gens au mystère sacré qu’est le sacrement de Réconciliation. Si un prêtre est sur son téléphone pour lire ses mails ou aller sur Facebook pendant ce temps-là, il n’est pas en mesure de recevoir la grâce. »
Certains sont donc d’avis que, tout comme le pénitent, il est préférable que le prêtre lâche son téléphone de temps en temps. Le père Hajj va jusqu’à dire que « quand un prêtre exerce son ministère, la place du téléphone, c’est dans un tiroir de la sacristie, en mode silencieux ».