Le nouveau supérieur général de la compagnie de Jésus prêt à envoyer ses troupes en mission de “réconciliation” “Réconcilier les peuples entre eux, les réconcilier avec Dieu et avec la création. Quel beau défi lancé à la Compagnie de Jésus par son tout nouveau supérieur général, le père Arturo Sosa, aussitôt après son élection, le 14 octobre dernier. Né à Caracas, Arturo Sosa Abascal, remplace le père espagnol Adolpho Nicolás, qui était en poste depuis 2008. Il prend les rênes d’un ordre religieux fondé en 1540 par saint Ignace de Loyola, qui rassemble aujourd’hui 16 740 religieux, dont 5 000 en Europe, 2 600 en Amérique du Nord et 2 400 en Amérique latine, 5 600 en Asie, surtout en Inde, et 1 600 en Afrique.
Au cours de sa première conférence de presse, rapporte Jacopo Scaramuzzi pour Vatican Insider, le jeune élu n’a pas tracé de programme proprement dit pour les années à venir, mais mis à plat toutes les épreuves – crise migratoire, guerres en cours, pauvreté, urgence écologique – auxquelles la congrégation devra faire face impérativement, en cherchant “l’impossible”, bien campée sur ses deux jambes : “servir la foi” et “profondeur intellectuelle”, a souligné le père Sosa.
Un concept exprimé dès sa première homélie à l’Église du Gesù, l’église des jésuites à Rome, mais également devant les journalistes, rappelant que “chercher l’impossible est la mission du chrétien”, pas seulement du jésuite. C’est “une manière d’exprimer sa foi”, a-t-il expliqué, car “avoir la foi c’est être capable d’espérer en l’improbable”, sachant que l’espérance “aide à faire ce que nous espérons”.
Penser tout en agissant
Quand on se met à analyser le monde, à regarder les pouvoirs financiers, le pouvoir des armes, du trafic de drogue, de la traite humaine, on a l’impression de ne pouvoir rien faire. Pourtant, affirme le père Sosa, “l’improbable est possible”, “vivre en paix est possible”, “avoir une économie solidaire, vivre dans le souci de la création, est possible”, et “avoir de quoi manger chez soi, une école …” est possible. Les jésuites ont ce grand défi devant eux et doivent le relever “avec foi”, a poursuivi le nouveau supérieur de la compagnie, car “sans la foi rien n’est possible”, et il leur faut cette “profondeur intellectuelle” qui les aide à “comprendre ce qu’il se passe”, à approfondir “leur savoir scientifique, culturel, personnel”, à “penser” tout “en agissant”.
Très franchement, père Sosa ne sait pas trop comment il gouvernera la Compagnie – “ce n’est pas encore bien clair en moi”, a-t-il avoué aux journalistes, du fait même que la congrégation qui l’a élu n’a pas encore terminé ses travaux – mais ce qu’il a bien en tête c’est le sens de la mission des jésuites, telle que “très clairement définie après le concile Vatican II” : servir la foi et promouvoir la justice en tenant compte des différences culturelles et faisant usage de dialogue. À ce propos, rien de nouveau au niveau des priorités relevées par son prédécesseur, le père Adolfo Nicolas, depuis 2008 : “Le dialogue interreligieux, la question des réfugiés, les flux migratoires la crise économique, la pauvreté”, restent les questions prioritaires.
Soif de réconciliation
Arturo Sosa Abascal était déjà, depuis 2014, conseiller de l’ancien Supérieur général, chargé des maisons et des œuvres interprovinciales de la Compagnie de Jésus à Rome. Il était donc très impliqué dans la préparation de cette 36e congrégation générale. Au cours de cette préparation, les jésuites de chaque province, dans les cinq continents, étaient invités à réfléchir à la question : “Quels sont d’après vous les appels du Seigneur pour la compagnie ?”. Et il fut très frappé de voir que le mot “réconciliation” revenait sans cess, dans chaque réponse, réclamée avec force et sous toutes ses formes.
“À ce point-là c’est stupéfiant !”, a confié le jésuite à la presse. Cela signifie que toutes les régions de la terre sentent “cette cassure, cette blessure profonde qui nous divise”, qu’elles sentent la gravité des situations : guerre en Syrie, en Irak, et tant d’autres guerres dont on ne parle même pas, migrations forcées. Pour nous, cela sonne comme “un grand appel à la réconciliation”, auquel les jésuites, à leurs niveaux, et tous ceux qui travaillent avec eux, souhaitent répondre en apportant leur “petite pierre”.
Ce qu’on dit de lui
Au début de la conférence de presse, le père Federico Lombardi, ancien directeur de Radio Vatican et porte-parole du Pape, lui-même jésuite, a présenté le père Sosa comme étant “le premier supérieur non européen” élu à la tête de la Compagnie mais également “le tout premier représentant latino-américain” qui, sous un Pape provenant lui aussi d’Amérique latine (et de surcroît jésuite), revêt “une signification particulière”. Cette élection, a-t-il souligné, tourne la compagnie vers “de nouveaux horizons”, une tendance déjà perceptible depuis quelques décennies.
Sur le blog de la 36e congrégation générale, plusieurs jésuites s’expriment sur la personnalité du nouveau supérieur : “Le père Arturo Sosa a une grande capacité d’écoute et de prise de décision, c’est un homme habitué à travailler dans des situations complexes et de les traiter avec calme (…) Il est clairvoyant, conscient des changements sociaux et intellectuels qui bouleversent le monde actuel”, écrit le père Francisco Javier Duplà, socius de sa province d’origine. Jesús Rodríguez Villarroel, un autre jésuite, qui a vécu huit ans dans la communauté d’Arturo Sosa, parle des deux polarités – « foi-justice » et « foi-culture » – qui le distinguent et de sa large vision de ce qu’il se passe au sein de la Compagnie de Jésus, y compris chez les laïcs.
Autre réaction, celle du père David Nazar, Canadien, ancien provincial du Canada anglais, et depuis un an recteur de l’Institut pontifical oriental, une œuvre du Saint-Siège confiée à la Compagnie de Jésus : “Le père Arturo Sosa a beaucoup d’humour et accueille les gens avec affection. Ajoutez à cela l’intrépidité, une grande volonté face aux défis et une vision à long terme, vous avez l’image parfaite du supérieur général aujourd’hui. Finie l’époque des projets et plans clairs de construction ou de démolition. Nous sommes dans la recherche, l’expérimentation, à une époque où le changement et “l’interculturalité” se conjuguent ensemble. Le monde a besoin de témoins créatifs et visionnaires” (cf. autres réactions ici).
Pape François : “Sois courageux !”
Le père Sosa connaissait-il Jorge Mario Bergoglio avant de pape François ? Oui, “il l’a connu en 1983, à la 33e congrégation générale. Arturo avait à peine 35 ans. L’archevêque de Buenos Aires, douze de plus. Il voyait en lui un jeune homme vigoureux et le surnommait « potrillo », c’est-à-dire « jeune poulain »”, raconte Antonio Spadaro, directeur de la revue jésuite italienne La Civiltà Cattolica. A l’annonce de son élection, le Saint-Père lui a fait une seule recommandation : “Sois courageux !”. Arturo Sosa, comme Jorge Bergoglio, viennent de deux pays différents – Venezuela et Argentine – mais du même continent: l’Amérique latine. Ils sont la preuve vivante que l’Eglise de ce sous-continent est une Eglise “source” et non “reflet”, capable de’apporter de bons fruits à l’Eglise universelle, a poursuivi le jésuite italien. Pour l’Eglise en Europe aussi, car tous deux ont des racines européennes dans le sang : le Pape dans le Piémont, en Italie ; Arturo Sosa de Santander en Espagne.