Le président du PCD s’est attiré les foudres de son camp et du Crif suite à ses propos sur Hillary Clinton… Décryptage.“La proximité de Mme Clinton avec les super-financiers de Wall Street et sa soumission aux lobbies sionistes sont dangereuses pour l’Europe et la France”. La petite phrase extraite de l’interview qu’a accordé le candidat à la primaire de la droite et du centre au quotidien Nice-Matin mercredi dernier a suscité la vive réaction de plusieurs ténors de l’opposition et du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (Crif). Son président Francis Kalifat, a en effet estimé “qu’au-delà de leur caractère insidieusement antisémite, ces propos relèvent des thèses conspirationnistes dont on sait qu’elles sont le fond de commerce des extrémistes les plus violents”.
Après le Crif, les politiques (de tous bords) ont pris le relai. Dans ce concert, Nathalie Kosciusko-Morizet tint immédiatement à se distinguer. À l’instar du “loup quelque peu clerc” de la fable, elle tenta de prouver par sa harangue qu’il fallait sacrifier ce maudit Poisson.
Thèses complotistes. Antisémitisme. Je saisis demain la Haute Autorité de la primaire. #Poissonhttps://t.co/d2CLigsXqY
— N. Kosciusko-Morizet (@nk_m) October 20, 2016
Christian Estrosi, président de la région PACA et soutien de longue date de Nicolas Sarkozy se désole à présent de la présence du président du Parti chrétien démocrate (PCD) parmi les candidats à la primaire.
.@cestrosi regrette la présence du Président du Parti Chrétien-Démocrate J-F Poisson à la #primairedroite #8h30Aphatie https://t.co/QCtVfdvgDo
— franceinfo (@franceinfo) October 21, 2016
Jean-François Copé n’a pas manqué non plus de condamner, rappelant que « ses propos étaient extrêmement graves » et que sa place à la primaire « paraît compliquée ».
Thierry Solère, soutien de Bruno Lemaire à la primaire, député de Boulogne-Billancourt, “condamne avec la plus grande force les propos de Jean-Frédéric Poisson. Dans notre pays, l’évocation du “lobby sioniste” n’a pas la même signification qu’aux États-Unis” ajoute-t-il.
La presse pose la question : Jean-Frédéric Poisson est-il antisémite ? Sa participation à un meeting de « la droite hors les murs » aux cotés de Kamel Ouchikh président du parti Souveraineté, identité et libertés (SIEL), de Philippe de Villiers, Christian Vanneste, ou Robert Ménard, serait-elle une preuve accablante de sa nature duplice ? Le Huffington Post assure que cette semaine aura démontré « la face sombre de Poisson ». L’idylle entre le sympathique outsider de la primaire à droite et la presse n’aura pas duré longtemps.
Cachez ce lobby que je ne saurais voir
Sur le fait même que Madame Clinton soit très liée aux sionistes américains, il n’y a pas de discussion, c’est un fait établi. Ainsi, par exemple, le 21 mars dernier Hillary Clinton prononçait un vibrant discours devant l’AIPAC, magnifiant les liens américano-israéliens et promettant de les resserrer.
Va-t-elle resserrer ces liens en couvrant la politique de colonisation menée par le gouvernement israélien ? En manifestant une forme de soutien aux plans de la majorité actuelle à la Knesset, qui penche du côté de la droite nationaliste ? En imposant un nouveau blocus à l’Iran ? Ce sont peut-être les questions que le président du PCD avait à l’esprit en parlant d’une proximité aux multiples inconnues.
Parler de “soumission” comme le fait M. Poisson est une exagération regrettable, mais on peut certes parler d’influence forte. Dans une démocratie, au cours d’une campagne électorale, un candidat peut légitimement poser la question de savoir si une telle influence peut être dangereuse pour l’Europe et pour la France. Si les autres candidats ne le pensent pas, ils peuvent répondre avec des arguments. Le décryptage des débats est du ressort de la presse.
Il semble donc que ce qui a provoqué l’indignation politico-médiatique contre M. Poisson soit précisément l’expression “lobby sioniste”. Alors, est-il inconvenant de parler de “lobby sioniste” ?
Qu’est-ce qu’un lobby ?
Le lobbying, pour sulfureux qu’il puisse nous paraître, va de soi aux États-Unis où l’élu politique se soumet de plus ou moins bonne grâce aux bailleurs de fonds de sa campagne en toute transparence. Les lobbies sont institutionnalisés et officiels, partie intégrante du processus démocratique. L’électeur en est informé : les soutiens du candidat forgent son idéologie, il peut glisser son bulletin dans l’urne en connaissance de cause.
En France, la connotation est nettement moins flatteuse. La Constitution (“Tout mandat impératif est nul”) ou la législation sur le financement des partis politiques sont des garde-fous et interdisent théoriquement la mainmise d’un groupe d’influence sur un élu ou son programme. Dans les faits, les cas sont très fréquents : laboratoires pharmaceutiques, groupes de luxe ou industriels, associations LGBT, pro-IVG, pro-euthanasie et même pays étrangers savent glisser sous la plume d’un politique le bon texte à parapher.
En Europe, la presse s’émeut régulièrement du lobbying intensif et narquois auquel se livrent dans les couloirs du Parlement européen à Strasbourg ou de la Commission à Bruxelles les chimiquiers, pétroliers, assureurs, banques et institutions financières, groupes industriels, céréaliers, marchands de canons, etc. Jusqu’au malaise : l’affaire Barroso parti chez Goldman Sachs.
Qu’est-ce que le sionisme ?
“Mouvement dont l’objet fut la constitution, en Palestine, d’un État juif” (Larousse), “Mouvement politique et religieux né de la nostalgie de Sion, permanente dans les consciences juives depuis l’exil et la dispersion, provoqué au XIXe s. par l’antisémitisme russe et polonais, activé par l’affaire Dreyfus, et qui, visant à l’instauration d’un Foyer national juif sur la terre ancestrale, aboutit en 1948 à la création de l’État d’Israël” (CNRTL).
Le sionisme en 2016 encourage-t-il à l’alyah, c’est à dire le “retour” des juifs en terre d’Israël ? Est-il une défense jusqu’au-boutiste des intérêts de l’État hébreu ? Le mot sionisme n’est pas là pour se substituer à « patriotisme », « esprit pionnier », « humanisme » ou « amour de la patrie » selon d’autres. Difficile de trancher.
L’ “antisionisme”, réunit en revanche sous sa bannière une foule très hétéroclite (extrême-gauche pro-palestinienne, souverainistes, musulmans, ultra-laïcs, etc.), plus ou moins radicalement hostile à l’État israélien, à sa politique interne — dans les territoires occupés — ou extérieure, dans toute la région proche-orientale. Les antisionistes se plaisent à dénoncer le poids, réel ou supposé, des relais d’influence de l’État israélien (comme les lobbies à l’américaine justement) dans les opinions publiques occidentales ou dans les lieux de pouvoir.
L’antisionisme et l’antisémitisme se recouvrent souvent, mais pas toujours. Il y a des antisionistes qui ne sont pas antisémites (surtout à gauche) et il y a des antisémites qui soutiennent le sionisme (dont une partie de l’ultra-droite). L’un des aspects de la propagande de certains sionistes consiste à imposer l’amalgame en taxant indifféremment leurs opposants d’antisémitisme. Mais ils suscitent parfois la controverse : voir à ce sujet, ce dossier paru dans Le Monde.
Qu’a voulu dire M. Poisson ?
Il est vrai cependant qu’aujourd’hui, en France, les thèses des antisionistes les plus en vue sont simplistes, stigmatisantes et fortement teintées d’antisémitisme. Dans ce contexte, parler de “lobby sioniste” est pour le moins maladroit et imprudent. Vous vous retrouvez ipso facto en mauvaise compagnie. Et si vous êtes lancé dans un parcours électoral : vous devenez immédiatement le baudet de la fable sur lequel tout le monde va crier haro ! Et n’espérez pas que vos juges vont prêter la moindre attention à vos explications et, le cas échéant, à vos excuses : vous risquez de devenir l’objet d’une stricte ségrégation publique et d’être exclu de la communauté politico-médiatique.
Cependant, il est très probable que l’assertion de M. Poisson méritait une interprétation moins passionnée et moins hostile. Il visait sans doute la situation au Moyen-Orient et répondait à une question sur la situation politique américaine. Dès lors, il est probable, sinon certain, qu’il a parlé de “lobbies sionistes” dans l’acception américaine de l’expression, celle-ci n’étant pas choquante outre-atlantique. Son erreur aura été de ne pas avoir précisé de quel point de vue il parlait. En effet, l’organisation gravitant dans l’orbite de Madame Clinton dont Jean-Frédéric Poisson s’inquiète de l’influence, existe réellement. Elle s’appelle l’AIPAC ou American Israel Public Affairs Committee. “L’AIPAC est un lobby créé en 1951 aux États-Unis visant à soutenir Israël et l’idéologie sioniste” confirme Wikipédia, citant les travaux de deux universitaires. “The mission of AIPAC is to strengthen, protect and promote the U.S.-Israel relationship in ways that enhance the security of the United States and Israel” nous apprend le site officiel de ce lobby dévolu à la promotion de la défense de l’État hébreu.
Aux États-Unis, le lobbying pro-israélien de l’AIPAC est redoutablement efficace. En 2009, un membre de “J Street”, lobby pro-israélien concurrent, confiait au Figaro que : « L’AIPAC a l’oreille de l’establishment politique américain ». C’est un poncif mais une donnée-clef pour la compréhension de la politique étrangère américaine au Levant, en particulier de son indéfectible soutien à l’allié israélien dans la région.
Poisson peut encore faire valoir que rien dans son parcours, ses engagements, ses déclarations ou ses fréquentations ne vient corroborer la moindre suspicion d’antisémitisme. C’est ce que M. Poisson confirme avec force dans son communiqué de presse : « Cette haine m’est totalement étrangère, je la combats, et je condamne, comme je l’ai toujours fait, l’antisémitisme tout autant que l’antisionisme ».