Aleteia a rencontré les auteurs de l’essai “La catastrophe écologique, fruit pourri du capitalisme ?”. (2/5)Olivier Rey est membre du CNRS dans la section mathématique et, depuis 2009, dans la section philosophie. Il est l’auteur de plusieurs essais tel qu’Une folle solitude : le fantasme de l’homme auto-construit, et de deux romans. Il s’est fait remarqué récemment dans une interview au Figaro où il critiquait les dérives normatives des Droits de l’homme.
Aleteia : Vous dites que l’effondrement de nos sociétés est imminent. Où en voyez-vous les signes ?
Olivier Rey : Du côté de la nature, la situation ne cesse de s’aggraver. Au cours du dernier demi-siècle, le nombre d’animaux vertébrés qui vivent sur la terre a diminué de moitié, et certains scientifiques sont si inquiets qu’ils envisagent une extinction de masse au cours de ce siècle. Pour prévenir un tel effondrement, il faudrait que nous cessions de solliciter la nature comme nous le faisons. Mais dès lors que les sociétés modernes sont fondées sur une exploitation exponentielle des ressources naturelles, nous en sommes incapables. Chaque année, notre dette écologique s’accroît. Quant aux dettes financières de plus en plus abyssales, elles résultent des efforts désespérés pour perpétuer un système de production-consommation de moins en moins viable, car gagé sur une exploitation de la nature qui touche ses limites. En 2008, un retournement de tendance sur le marché de l’immobilier américain a suffi pour engendrer une crise mondiale : c’est un indice parmi d’autres de la précarité ambiante. Les crises migratoires, où l’élément climatique est déjà présent, en sont un autre.
Concrètement, comment agir dès à présent pour l’environnement ?
Parler d’environnement est déjà un problème : l’environnement apparaît comme second par rapport au sujet qu’il environne. Comme Augustin Berque, je préfère le terme de milieu. Un environnement, cela s’exploite ou se gère. Je me souviens de Dominique Voynet, alors ministre, parlant des “différents usagers de l’environnement” comme on parlerait des usagers d’un service public. Un milieu, cela s’habite. Au point où nous en sommes, la direction à suivre est celle qui a pour nom décroissance. Non pas “croissance négative”, récession, mais abandon d’un système idéologique, social et économique rivé à l’augmentation permanente de la production et de la consommation. Dans une logique environnementale, la décroissance est une contrainte imposée par les limites naturelles. On ne change pas de système comme de chemise, mais on peut au moins essayer de se rendre apte à un tel changement en revenant à chaque fois que c’est possible de l’acheter au faire. Ce sont moins des “gestes pour l’environnement” que pour la vie et la liberté.
Pensez-vous que Laudato Si’ ait une incidence sur l’engagement écologique des chrétiens ?
Il y a longtemps que certains catholiques sont sensibles aux questions écologiques, mais ils étaient minoritaires et les autorités de l’Église ne leur apportaient guère d’appui, car enserrées dans une vision trop restreinte de la nature. Pour dire les choses de manière caricaturale : le caoutchouc ne devait pas servir à fabriquer des préservatifs, mais aucune objection à ce qu’on fabrique avec des milliards de pneus roulant sur des millions de kilomètres d’autoroutes et de routes. Le souci écologique n’avait guère de chance de s’imposer dans les milieux catholiques. L’encyclique Laudato si’ a changé la donne. Non pas qu’elle ait entraîné une conversion écologique brusque et massive dans les rangs des catholiques, mais ceux qui parmi eux étaient attentifs à la question ont désormais davantage les moyens de se faire entendre. Avec l’appui du Pape, ils ne peuvent plus être tenus pour marginaux. Par ailleurs, l’encyclique a l’immense mérite de rappeler qu’on ne peut isoler les problèmes : les maux écologiques sont la contrepartie de maux spirituels et sociaux. Pour le Saint-Père, “la crise écologique est une manifestation extérieure de la crise éthique, culturelle et spirituelle de la modernité”, et “on ne peut pas envisager une relation avec l’environnement isolée de la relation avec les autres personnes et avec Dieu”. Comme le soutenait Benoît XVI, “les déserts extérieurs se multiplient dans notre monde, parce que les déserts intérieurs sont devenus très grands”.
Propos recueillis par Camille Tronc.
En savoir plus sur La catastrophe écologique, fruit pourri du capitalisme ? :
On ne sauvera pas l’homme sans sauver la planète, avertissait le pape François dans Laudato Si’. Après la parution de la magistrale encyclique en 2015, les prises de positions en faveur de l’environnement se sont multipliées chez les catholiques. Difficile, en effet, d’ignorer plus longtemps les alertes d’une planète de plus en plus perturbée. Cette planète, c’est la nôtre. Elle est la maison commune à toute l’humanité que Dieu a créé, à charge pour l’homme de la préserver.
Les Altercathos est une association fondée en 2011 par des catholiques lyonnais, et qui se veut un laboratoire de réflexion pour l’engagement des catholiques dans la vie de la Cité. Cet essai ne fera pas l’unanimité, loin de là. Il se veut résolument radical, à la fois dans sa critique de notre mode de consommation, et son approche globale de la responsabilité environnementale de l’homme.
Les auteurs, tous acteurs de la société et spécialistes de l’environnement, développent tour à tour leur réflexion à travers les grands axes de ce livre, qui sont autant de critiques contre le capitalisme débridé, l’idéologie de la croissance économique perpétuelle, le manque de courage face à notre devoir environnemental et le grignotage par l’argent de toutes les sphères de nos vies.
La catastrophe écologique, fruit pourri du capitalisme ? par Olivier Rey, Mgr Rey, Patrice de Plunkett, Thierry Jaccaud, Marie Frey, Cyrille Frey et Kevin Victoire. Les Altercathos, mai 2016, 10 euros.