Retour sur la Journée sans voiture du 25 septembre et la “piétonnisation” des voies sur berges de Paris. Le week-end dernier, les Parisiens ont découvert une ville (presque) sans automobile. La capitale avait été, le temps d’une promenade sous le soleil de septembre, “piétonnisée”. Ce néologisme barbare, très en vogue dans le vocabulaire des politiques municipales depuis la fin des années 1990, frappe au moins autant par son inélégance que par sa prodigieuse capacité à tricher avec la langue : il dit précisément ce qu’il ne dit pas.
Piétonniser la rue, c’est en réalité interdire aux automobilistes de circuler. Rien de dramatique à cela en soi, mais force est d’admettre que la communication autour de l’événement se distingue par son zèle à ne justement pas nommer la grande absente, la principale concernée, l’unique et seule à qui cette mesure éphémère s’applique : la voiture.
Aurait-on décemment pu “dévoituriser” Paris ? Le terme ne heurte pas davantage l’oreille… Mais il possède le terrible inconvénient de poser les choses telles qu’elles sont et d’assumer le caractère négatif, privatif et finalement déplaisant de cette action de communication à grande échelle. La fête s’en serait assurément trouvée gâchée.
Pourtant, piétonniser la rue est un non-sens absolu. La rue est précisément un espace où circulent piétons et automobiles – les premiers sur le trottoir (seule la langue française est capable d’inventer un nom d’une telle poésie), les seconds sur la chaussée (terme tombé, sans que le hasard en soit seul responsable, en désuétude).
Le lendemain, le Conseil de Paris votait la fermeture des voies sur berges à la circulation automobile. Cette fois, la presse entière s’est empressée de relayer les éléments de langage de l’exécutif parisien, sans y voir la charge idéologique que ceux-ci charriaient dans leur flot. Les voies sur berges “rendues” aux piétons, voire la “reconquête” des bords de Seine… À ces mots, chacun revoit en pensée les terribles images de ces hordes de voitures pourchassant les piétons hors de leur territoire. Il s’en est fallu de peu pour qu’Anne Hidalgo ne proclame, du balcon de l’Hôtel de Ville : “Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré !”, dans un élan digne d’un de Gaulle qui aurait souscrit à un abonnement Vélib’.
Ce que ces glissements de langage sans cesse plus inconscients révèlent, c’est le penchant irrésistible de la communication politique contemporaine, qui consiste à créer artificiellement une tension permanente entre positif et négatif, de tout réduire à un combat pour davantage de liberté (ou de “mobilité”, autre perle de la novlangue de notre siècle), autrement dit de réduire le langage et le réel à une opposition manichéenne entre bien et mal.
À une époque où les références à la morale sont totalement proscrites dans le débat public, et où leur invocation déclenche les pires suspicions dans l’opinion (surtout dans celle des journalistes), une telle régression prête à sourire. D’autant que les piétons du dimanche sont souvent les automobilistes du lundi, et que les voitures, pour maléfiques qu’elles soient, renferment très souvent un piéton qui s’ignore dans leurs carcasses de tôle. À quand une croisade pour les en libérer ?