Découvrez “Les Montagnards”, tombeau poétique gravé au nom de tous ceux partis se battre et mourir. En 1914, Henri Pourrat a 27 ans. Entré à l’AgroParisTech, il dut interrompre ses études en 1905, en raison de la tuberculose dont il était atteint. Il quitte Paris et regagne alors la ville d’Ambert dans le département du Puy-de-Dôme. Il lit, médite, prend des notes et commence à entrevoir ce qui pourrait devenir une œuvre. En août 1914, la guerre qui éclate fait son tourment : alors que les villages du Livradois se vident de leurs hommes, il ne peut pas partir à cause de sa maladie. Son ami Jean Angeli, avec qui il a écrit et publié son premier livre, La Colline ronde (1912), tombe sur le champ de bataille le 11 juin 1915. Alors lui vient l’idée de “participer” à cette guerre à sa manière par le biais de l’écriture. Relier le front et l’arrière pour exalter l’héroïsme de ceux qui se battent et de celles qui maintiennent la vie au pays. Entre les deux, l’angoissante attente, à peine apaisée par une lettre, l’irrésistible confiance et le mot d’ordre tacite dont la vaillance auvergnate fait un absolu : faire son devoir.
Évoquer la guerre par l’écriture
Mais comment évoquer ce qu’on ne voit ni ne vit ? Henri Pourrat s’informe, lit les journaux, correspond avec ses amis, interroge les permissionnaires, les blessés convalescents. Cela ne suffit pas ? Il est déjà celui qui sait “voir”, l’homme de la vision. Il ose écrire la Chronique paysanne de la Grande Guerre, dont les pages consacrées aux marches, aux tranchées, aux assauts ont un tel accent de vérité que des soldats à qui on en lisait l’ébauche demandent : “De quelle compagnie est-il ?”.
Il fallait pour cela trouver la forme littéraire qui convienne. Henri Pourrat crée un genre intermédiaire entre la chronique et la chanson de geste, écriture poétique en laisses de sept décasyllabes assonancées, qui lui vaudront l’admiration du grand médiéviste Joseph Bédier. Il ‘agit d’un genre assez souple pour se plier aux récits, aux dialogues, aux évocations lyriques du pays, aux hymnes, aux prières. Ceux qui connaissent Henri Pourrat entendront déjà comme en écho le prologue versifié de Gaspard, qui était sur le métier, et découvriront avec émotion une des plus belles prières qui soit à Jeanne d’Arc :
Fille de Dieu qui n’as jamais tué,
Et dont l’épée fut toujours aussi claire,
Que le soc pacifique de l’araire,
Toi qui dans les travaux aidas ton père
Avant d’aider la patrie dans la guerre,
Toi qui sais la vie des champs et sa peine,
Ô souviens-toi des nôtres dans la paix,
Toi qui parlais de la grande pitié,
Toi qui jamais ne vis sang de Français,
Que les cheveux ne lèvent sur ta tête,
Et qui verrais maintenant par nos plaines
Ton étendard blanc et bleu comme un ciel
Pour nos martyrs trempé de sang vermeil,
Ô souviens-toi des nôtres dans la guerre…
Des textes universels
Ces Montagnards parurent pour la première fois chez Payot en 1919, puis à la N.R.F. (La Nouvelle Revue Française) en 1934. Les voici réédités chez Dominique Martin Morin, pourvus d’une introduction de Danièle Henky (Université de Strasbourg) qui éclaire le texte et sa genèse. A cela s’ajoute un glossaire de Takeschi Matsumura (Université de Tokyo), d’émouvants crayons de Jean Angeli et de Bernard Naudin croqués sur le vif, et surtout la présence d’un texte quasiment inconnu paru en 1917 dans La Revue politique et littéraire : Revue bleue, L’Ouvrage 4, écrit avec Jeanne Lichnerowicz (qui signera Claude Dravaine). Il s’agit d’une pièce de théâtre en cinq scènes : sept soldats auvergnats doivent tenir un ouvrage enlevé aux Allemands jusqu’à la contre-attaque des leurs. Mais ces derniers n’arrivent pas, ils sont perdus, ils vont se replier, quand survient une bergère qui les incite au sacrifice : c’est Jeanne d’Arc.
Les écrits sur 14-18 sont innombrables. Ces deux textes d’époque, de la plume d’un non-combattant, comptent parmi les moins connus, les plus originaux et les plus fidèles à ce qui fut l’esprit d’alors.
Le régiment dans le matin qui débouche sur une ligne.
Ah ! c’est la France, maintenant, la toujours jeune, la terrible,
Enfin jaillie comme une épée, droite et debout dans le vent libre,
Sans plus de hâte que de peur, les dents serrées, l’œil immobile,
Et si sûre de son élan qu’elle ne jette pas un cri,
Allant droit devant elle…
Les Montagnards : Chronique paysanne de la Grande Guerre suivi de L’Ouvrage 4, par Henri Pourrat, Dominique Martin Morin, 166 p., 14,50 euros.