“Dieu lui-même est tatoué de nos noms et de nos vies… Il nous a dans la peau !”
Retrouvez les deux premiers articles :
Le tatouage : aux origines du phénomène
Le tatouage : un rituel sans le sacré ?
Curé de la paroisse Val de Marie, dans le diocèse de Verdun, l’abbé Monnier est un spécialiste des cultures underground : musique metal, heroic fantasy, tatouage… Après avoir rédigé sur Aleteia une tribune consacrée au Hellfest, le jeune prêtre a aussi réalisé deux articles sur les tatouages auxquels cette interview vient s’ajouter.
Aleteia : À l’heure actuelle, où en est l’Église sur la question du tatouage ?
Père Monnier : Je pense qu’à l’heure actuelle, l’Église ne dit rien de particulier à ce propos. Beaucoup pensent pourtant que l’Église catholique l’a interdit, mais je n’ai trouvé aucun écrit d’autorité qui interdise explicitement le tatouage, ou même qui dise une parole à son sujet. En réalité, au Moyen Âge, le tatouage a été interdit par Charlemagne, mais c’était un interdit politique, afin de continuer le travail d’impérialisation de l’Europe.
Si vous étiez consulté pour aider l’Église à statuer que recommanderiez-vous ?
Tout d’abord, je recommanderais une cellule de travail sur la question qui regrouperait l’avis de plusieurs spécialistes, qui rédigeraient une parole pour les chrétiens d’aujourd’hui qui ont besoin d’un repère religieux à ce sujet. Cette parole devrait alors être ratifiée par une cellule d’autorité, comme la conférence des évêques de France, par exemple.
En ce qui me concerne, pour une parole d’Église, je m’orienterais plutôt vers une neutralité bienveillante. Le tatouage n’est pas une mode, mais un phénomène de société, il est donc vain de l’interdire et ridicule de se prononcer contre ce phénomène. Mais c’est un phénomène qui est aussi en dehors du champ religieux, et qui vient dans une époque précise. Inutile non plus d’en faire son apologie, ce qui serait de la démagogie. Il suffit simplement de montrer que l’Église d’aujourd’hui comprend le phénomène dans sa dynamique anthropologique contemporaine. Je pense donc que cette neutralité bienveillante (ni incitation, ni interdiction) dans la compréhension et l’ouverture d’esprit est une bonne manière de se situer.
Il faut bien préciser ici que le tatouage est un mode d’expression : il permet à la personne tatouée de dire quelque chose d’elle-même. Le tatouage est donc un très bon moyen pour aborder un dialogue auprès des personnes qui nous entourent. Il est important de dépasser les préjugés (obsolètes, faudra-t-il le préciser) pour discuter sereinement des tatouages. Si la question est posée de manière paisible, sans crispation sur le sujet, il y a fort à parier que la personne tatouée saura entrer dans une réponse pour le moins profonde.
Qu’en est-il du passage de l’ancien testament qui interdit “d’imprimer des figures sur soi” ?
La question de l’interdit biblique me fait toujours beaucoup rire. En cette époque estivale, pleine de buffets froids et de barbecue, j’enfreins régulièrement et allègrement des interdits bibliques qui sont bien plus souvent répétés dans l’ancien testament que l’interdit du tatouage. Dieu merci, je ne suis pas un témoin de Jéhovah, je ne prends pas les écrits bibliques au pied de la lettre. L’interdit biblique du tatouage ne vient qu’une seule fois, et c’est probablement une glose (un rajout fait par la suite). En revanche, l’interdit de manger du porc revient de nombreuses fois. Jésus a dit une excellente parabole avec la paille et la poutre, qui convient tout à fait à ce genre de situation : c’est très drôle de voir des gens manger de la charcuterie et qui disent “il ne faut pas se faire tatouer, c’est interdit dans la Bible”.
Plus sérieusement, j’aime bien cette parole du prophète Isaïe (pour rester dans l’ancien testament) qui dit que Dieu a gravé notre nom sur sa main (Is 49,16). Dieu Lui-même est tatoué de nos noms et de nos vies… Il nous a dans la peau !
Comment réagiriez-vous si un fidèle que vous accompagnez spirituellement se tournait vers vous pour écouter votre avis sur la réalisation d’un tatouage?
La première chose que je dirais, c’est de prendre du temps et de garder toujours l’esprit libre de dire non jusqu’à la dernière minute. Lorsque je rencontre des personnes parmi mes proches qui viennent parler de ce sujet, c’est la première chose que je conseille : prendre son temps. Il faut prendre le temps de penser son tatouage. Il y a, généralement, deux manières de se faire tatouer : une manière réfléchie et une manière irréfléchie. La seconde manière est systématiquement trop rapide. Je pense que, comme toute chose, le tatouage n’est pas bon ou mauvais en lui-même. Mais la manière dont il entre dans la vie d’une personne peut être bonne ou mauvaise. Ainsi, il vaut mieux discuter avec une personne de la raison d’un tatouage, ainsi que de sa signification, que du tatouage en lui-même.
Et si c’était un prêtre ?
Même raisonnement : je prendrais le temps de discuter avec lui du chemin qui l’a conduit à se faire tatouer. Ce serait certainement tout aussi intéressant que toutes les autres personnes tatouées (de manière réfléchie, cela s’entend). Le tatouage peut être un bon moyen d’action de grâce car il montre tant de chemins de vies différents : cette richesse et cette complexité sont à vivre aujourd’hui. Tel est notre devoir de chrétiens du XXIe siècle. Je suis convaincu que si Dieu nous a envoyé à cette époque, ce n’est pas pour la fuir ni la combattre, mais pour la comprendre.
Propos recueillis par Arthur Herlin.