Dur dur d’être catholique… Combien de temps faudra-t-il encore payer pour les fautes des autres générations ?“C’est marrant, t’es catho et pourtant t’es sympa !” Cette phrase, prononcée avec candeur, m’a déjà transpercé le cœur à plusieurs reprises alors que, au détour d’une conversation du lundi matin sur l’activité du week-end, je mentionnais à mes interlocuteurs que j’étais allé à la messe dominicale.
Cette remarque m’a révélé d’une part l’image que la plupart de nos contemporains ont des catholiques – c’est-à-dire de l’Église – et par extension, la méfiance qu’ils nourrissent envers tout ce qui découle d’elle.
On paye toujours pour les fautes des autres générations. C’est l’une des raisons pour laquelle les catholiques ont beaucoup plus de mal à témoigner de Jésus Christ que nos frères évangéliques. Ils n’ont pas à porter le fardeau du passé. Du moins en France où l’alliance du sabre et du goupillon n’est toujours pas passée dans l’inconscient collectif.
Aux États-Unis où l’Église catholique a toujours été du côté des pauvres et des immigrants son image est bien meilleure et ce sont les pentecôtistes anglo-saxons qui incarnent la religion officielle et aliénante.
Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en ont été agacées
Indépendamment des faiblesses que l’on peut reprocher aux fidèles catholiques eux-mêmes, comme le manque de formation théologique et scripturaire ou même la trop faible vie de prière et d’intimité personnelle avec le Christ, le fait est qu’il leur est très difficile de témoigner car ils portent sur leurs épaules le poids d’un passé qui ne passe pas et dont ils ne sont pas responsables.
Nous avons tous fait l’expérience de situations où ce que nous voulions dire – notre foi en Jésus et notre joie d’être aimés et sauvés par lui – n’a même pas pu ne serait-ce qu’être entendu par nos interlocuteurs qui se sont précipités dans des réquisitoires plus ou moins enflammés et plus ou moins bien informés sur des épisodes de l’Église antérieurs à notre naissance (l’inquisition, les croisades, les guerres de religion…) ou indépendants de notre responsabilité (les prêtres pédophiles, les évêques qui les couvraient, la corruption au sein de la Curie, les liens entre la banque du Vatican et les mafias etc.).
Nous n’y étions pour rien et, en une fraction de secondes, nous nous sommes retrouvés dans le box des accusés. Nous étions sommés de nous justifier et de rendre des comptes sur des comportements passés qui n’étaient pas les nôtres et que nous désapprouvions. Notre présomption d’innocence était pulvérisée et nous devions porter la charge de la preuve.
Le sentiment d’injustice (“nous n’y sommes pour rien !”) et l’exaspération du “deux poids deux mesures” (jamais nos interlocuteurs ne se comporteraient ainsi vis-à-vis de musulmans) poussent parfois certains à vouloir justifier ce qui leur est injustement reproché et à désavouer ouvertement les manifestations officielles de repentance des papes successifs : de Jean-Paul II faisant officiellement repentance au seuil de l’an 2000 pour les fautes commises et/ou couvertes par l’Église pendant les siècles passés au pape François invitant les catholiques à l’examen de conscience sur leur attitude vis-à-vis des personnes homosexuelles et la nécessité de leur demander pardon quand ils les ont offensées.
“Marre de la repentance tous azimut”, s’écrient certains. “La priorité n’est pas de battre sa coulpe et à l’heure où l’islam gonfle ses muscles et où les chrétiens d’Orient sont exterminés”, disent d’autres.
Ces réactions sont parfaitement compréhensibles d’un point de vue humain mais, malheureusement, parfaitement inacceptables du point de vue du Christ tel qu’il nous est dévoilé dans les évangiles. Autrement dit c’est inacceptable d’un point de vue chrétien.
D’abord parce que le Christ lui-même ne nous laisse pas le choix : “Si donc, au moment de présenter ton offrande devant l’autel, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis tu reviendras présenter ton offrande” (Matthieu 5, 23-24).
Ensuite parce que le Christ nous a explicitement annoncé qu’il nous envoyait comme des agneaux au milieu des loups (Luc 10, 3).
Sans compter que cela reviendrait à donner raison à ceux qui pensent que les catholiques français n’ont pas changé depuis l’affaire Dreyfus et qu’ils préfèrent toujours une injustice à un désordre. Ou encore à affirmer avec Nicolas de Chamfort que la France est le pays où on laissait en paix les incendiaires et où l’on poursuit ceux qui sonnent le tocsin. Contre-témoignage garanti.
On paye pour les fautes d’autrui mais c’est d’abord l’annonce du Christ qui en pâtit
Il n’en reste pas moins vrai que le poids écrasant de l’histoire pèse sur l’épaule des catholiques d’aujourd’hui et limite grandement leurs possibilités de témoigner de leur foi.
C’est une réalité qui est décrite en termes imagés par un proverbe hébreu passé dans le vocabulaire courant (quoique de moins en moins courant en raison de l’illettrisme croissant de la société française mais ceci est un autre débat…) : “Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en ont été agacées” (Ezéchiel 18,2). En d’autres termes nous payons toujours pour les fautes des générations précédentes.
Pour d’évidentes raisons d’ordre chronologique nous ne sommes coupables ni de l’inquisition, ni des croisades, ni des guerres de religion et pourtant c’est souvent de cela que nous sommes sommés de nous justifier dès que nos interlocuteurs apprennent que nous sommes catholiques.
La tentation est grande de se braquer et de refuser de demander pardon. Demander pardon pour ses propres péchés est déjà une démarche éprouvante – nous l’expérimentons à chaque fois que nous nous confessons – mais alors demander pardon pour des péchés qui ne sont pas les nôtres !
Pourtant il est impératif que nous confessions ces péchés qui ne sont pas les nôtres pour assurer et rassurer nos interlocuteurs : oui ce sont bien des péchés et nous nous en désolidarisons au nom de notre conscience et, plus encore, en raison de notre attachement à Jésus Christ.
Les chrétiens sont en effet tenus d’annoncer un Dieu qui a accepté de payer de sa vie pour les péchés d’autrui. Jésus Christ, l’amour incarné conçu sans péché, n’a commis lui-même aucun péché et a racheté à Satan l’humanité qu’il retenait prisonnier en se laissant traiter comme le pire des pécheurs. Il l’a payé de sa personne au sens propre du terme. Il n’était pas tenu de souffrir pour nous sauver des conséquences de nos péchés.
“Il était méprisé, et nous n’avons fait aucun cas de sa valeur. Pourtant, en vérité, c’est de nos maladies qu’il s’est chargé, et ce sont nos souffrances qu’il a prises sur lui, alors que nous pensions que Dieu l’avait puni, frappé et humilié. Mais c’est pour nos péchés qu’il a été percé, c’est pour nos fautes qu’il a été brisé” (Esaïe 53, 3-5).
Les péchés d’hier ont été commis par nos pères et nous en payons le prix aujourd’hui mais c’est d’abord et surtout l’annonce du Christ qui en pâtit.
Si, en plus de cela, nous nous mettons au premier plan – soit comme avocat de nos pères, soit comme victimes injustes de reproches anachroniques – nous nous interposons nous mêmes entre le Christ et ceux auxquels nous prétendons l’annoncer.
Nous leur parlons de nous ou de nos aînés mais pas ou plus de celui qui est venu les sauver. Ce genre d’attitudes détourne nos interlocuteurs de l’essentiel : la mort et le résurrection de Jésus Christ. La bonne nouvelle c’est qu’”Il est lui-même une victime expiatoire pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier” (1 Jean 2,2).
C’est pour cette raison que la pire réaction consiste à expliquer que les épisodes sombres de l’histoire des chrétiens sont “plus compliqués que ça” et qu’il faut les “replacer dans leur contexte historique” et ne pas les juger “avec notre mentalité d’aujourd’hui”.
Pourquoi ? Parce qu’à partir du moment où l’on chercher à atténuer l’horreur de la saint Barthélémy et de la responsabilité morale de ceux qui s’y sont livrés alors il n’y a plus aucune raison que nos interlocuteurs admettent l’horreur du massacre des innocents et encore moins l’ignominie de la mort sur la croix de l’Innocent par excellence. À ce compte là l’attitude Ponce Pilate était compréhensible au vu du contexte politique “très délicat”. Non ?
Mais le pire serait de refuser de demander pardon pour les fautes de nos aînés au nom d’une solidarité de groupe ecclésiale qui ne serait ordonnée ni à la vérité ni à la charité. Ce serait la quintessence du cléricalisme. Le message que l’on envoie inévitablement dans ces cas là c’est : “faites ce que je dis, pas ce que je fais” et cela ruine toute crédibilité. Or, la force du témoignage dépend très directement de la crédibilité des témoins.
Triomphalisme hier, pharisaïsme aujourd’hui ?
Sans compter que nous serions bien avisés dès aujourd’hui de montrer l’exemple à nos descendants en demandant pardon pour les péchés de nos pères afin de montrer l’exemple à nos fils quand, demain, ils seront sommés de demander pardon pour les péchés que nous aurons commis c’est-à-dire… ceux que nous sommes en train de commettre actuellement.
Certes notre tendance n’est pas ou n’est plus au triomphalisme et à l’intolérance. Mais notre tentation actuelle ne serait-elle pas plutôt le pharisaïsme ? La tentation de vouloir mutiler l’évangile pour le tailler à notre mesure et éviter d’écouter ces appels à la conversion qui impliqueraient de remettre en question notre civilisation et nos choix de vie ?
Je pense notamment à la tendance, dans certains catégories socio-professionnelles appelées supérieures par les sociologues (les fameuses CSP+) à réduire les exigences de l’évangile à des questions de morale privée (refus de l’avortement, du mariage homosexuel, de la PMA-GPA) pour mieux occulter les questions de morale sociale.
En d’autres termes on défilera contre la loi Taubira au nom de la défense de la famille mais pas contre les lois qui organisent l’exploitation économique des salariés et détruisent la possibilité même d’une vie de famille (loi sur le travail du dimanche ou loi El Khomry).
Dans certaines familles catholiques, la tentation est permanente d’insister exclusivement sur les questions qui ne remettent pas en cause l’ordre économique et sociale dont leurs membres sont les premiers bénéficiaires… et les bénéficiaires de plus en plus exclusifs.
Par exemple quand, lors des réunions de famille, oncle Hubert qui travaille chez Total explique sur un ton mesuré que l’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie à l’occidentale et que les dictateurs avec lesquels il fait des affaires sur place sont injustement vilipendés par une presse française qu’aveugle le politiquement correct.
De même quand le cousin Xavier qui achète et vend des dettes à Londres – il travaille dans la finance – explique avec enthousiasme que l’Angleterre a su renouer avec la croissance contrairement à la France et à ses rigidités archaïques (protection sociale, système de retraite, santé publique…) : qui viendrait lui opposer les mises en garde de Jésus sur l’amour de l’argent et la doctrine sociale de l’Église ?
Et quelle brute au coeur de pierre pourrait opposer quoi que ce soit à la grande soeur Ségolène, DRH chez Saint Frusquin – fleuron du luxe à la française – qui raconte toujours avec beaucoup d’émotion ses nuits blanches quand, le lendemain, elle doit annoncer leur licenciement à des salariés pour que l’entreprise reste compétitive face à la concurrence internationale et continue à faire des bénéfices ?
Confesser les péchés des chrétiens pour révéler la sainteté de Dieu
Le principal obstacle à l’annonce du Christ c’est, aujourd’hui comme hier, notre propre péché et la forme qu’il prend aujourd’hui c’est moins la violence et l’intolérance de nos pères que l’ hypocrisie satisfaite de leurs fils.
Nous disons croire en Dieu mais au fond nous refusons de croire ce que Dieu nous dit et c’est pour cela que nous refusons de faire Sa volonté. Quand nous invoquons Sa volonté à Lui c’est, en fait, pour exalter la nôtre. Inévitablement on en vient à faire et à cautionner des choix existentiels et politiques qui sont radicalement incompatibles avec la volonté de Dieu telle qu’elle nous est dévoilée par le Christ dans l’Évangile. On remplace le culte que l’on doit à Dieu par le culte de la croissance. Pourtant la conversion du cœur n’est pas une option mais la voie étroite mais unique qui nous mène à Dieu et nous permet de réaliser notre vocation d’homme…
L’adhésion au Christ est toujours un choix personnel qui implique d’être prêt à accepter d’entrer dans une logique spirituelle qui n’est pas la nôtre et qui entraîne une métamorphose de notre être (sanctification). Comme tous les choix cela suppose de renoncer à un certains nombres de désirs et d’aspirations en particulier les plus mondaines.
Dieu prend ce qu’il y a de plus petit pour révéler sa puissance. Dieu fait tout pour nous mais rien sans nous. Il nous demande de l’aimer et d’aimer notre prochain, il nous demande de nous préoccuper d’abord du royaume de Dieu et de sa justice et nous promet que tout le reste nous sera donné de surcroît.
La seule question qui nous concerne est la suivante : allons-nous décider de le croire – et donc de le suivre – ou pas ? Ce n’est pas d’abord une question théorique ni même théologique mais un choix personnel et existentiel. Toute tentative pour esquiver ce choix est inspirée par le prince de ce monde.
A défaut de faire toujours le bon choix – nous tombons souvent et nous sommes appelés à nous relever tout le temps – il nous incombe de ne pas contrefaire la nature de ce choix. “Car celui qui est préoccupé de sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi, la retrouvera” (Matthieu 16, 25).
Le Christ désarme complètement ceux qui prétendent le suivre. Ils doivent annoncer la paix et suivre un Dieu qui prend à rebrousse-poils leurs évidences et, parfois, leurs intérêts catégoriels immédiats. Le Dieu que nous annonçons et dans lequel nous avons mis notre espoir est un Dieu tellement bon qu’il a accepté de payer pour nos péchés et c’est lui que nous sommes invités à suivre.
Bien sûr notre fidélité au Christ est toujours partielle et n’est jamais acquise. La conversion de notre coeur est une activité à plein temps dans la mesure où nous sommes soumis en permanence à la force d’attraction terrestre du Prince de ce monde et que la lutte pour s’arracher définitivement à son orbite ne prendra fin qu’à la dernière seconde de notre dernière heure. Quand on cherche à convertir au Christ son coeur, sa volonté et son esprit, on découvre ce qu’est le mouvement perpétuel.
Mais pour en témoigner encore faut-il l’admettre et en tenir compte concrètement. Cela suppose, entre autre choses, de confesser les péchés des chrétiens pour révéler la sainteté de Dieu et ainsi dégager l’horizon de ceux auxquels nous nous adressons.