Que sait-on aujourd’hui sur la vie et la personne de Jésus de Nazareth ? Un spécialiste catalan nous livre une synthèse de trente ans de recherches et de réflexion spirituelle.Voilà une “brique” qui ne servira pas à caler un meuble : les 840 pages du “Jésus” d’Armand Puig i Tàrrech, professeur de Nouveau Testament à la faculté de Théologie de Catalogne, ont été traduites du catalan en sept langues, en incluant cette traduction française. C’est l’œuvre d’une vie, celle d’un prêtre évidemment ouvert aux questions théologiques, mais qui procède en historien et en bibliste, pour livrer au grand public une synthèse des connaissances les plus actuelles sur la figure historique de Jésus de Nazareth et sur l’époque et les lieux où il vécut. Ce n’est pas en effet ici le théologien et le catéchète qui mène l’investigation, comme par exemple Benoît XVI dans son remarquable triptyque sur Jésus Christ, mais bien l’exégète et l’historien, naturellement tributaire des sources scripturaires, chrétiennes et païennes, des découvertes archéologiques, ainsi que des travaux de nombreux spécialistes, chrétiens ou non, à travers le monde.
Jésus, une personnalité sans équivalent
Qui était vraiment Jésus de Nazareth ? Pourquoi est-il né à Bethléem entre 7-6 et 4…avant Jésus-Christ ? D’où vient “cette curieuse anomalie chronologique” et de quel “recensement” parle Luc (2,1) ? Quelle langue parlait-on à Nazareth ? (Jésus, lui, était trilingue – parlant l’araméen, l’hébreu, et le grec “comme beaucoup de juifs de son époque”). Comment vivait celui qu’on appelait dans son village “le fils de Marie” (Mc 6,3) plus que “le fils de Joseph” – ce qui suscitera plus tard cette réplique fielleuse de ses adversaires : “Nous autres nous ne sommes pas nés de la fornication” (Jean 8,41) ? En quoi consistait, par exemple, son travail de “charpentier”? Le sens du mot grec “tektôn” que nous traduisons par “charpentier” est large : “Sous cette désignation, on peut regrouper des travaux réalisés, pas seulement avec le bois, mais aussi avec la pierre et au bout du compte, le fer (…) C’est pourquoi dans son Dialogue avec Triphon (88), Justin précise que Jésus fabriquait des charrues et des jougs, des accessoires qui combinent le fer et le bois (…) Jésus lui-même aura l’occasion de dire : “Mon joug est doux et ma charge légère (Mt 11,30)”. Qui étaient les “frères et sœurs de Jésus” ? Comment interpréter cette expression ? Pourquoi ne s’est-il pas manifesté en public avant l’âge de trente ans et pourquoi se singularisait-il en vivant en célibataire ? Quelles furent les étapes du ministère de Jésus ? Quel sens donner aux miracles et aux guérisons qu’il a opérés dont ses détracteurs disaient qu’elles étaient le fruit d’un pacte avec Satan (Mc 3, 22 ; Mt 12,24 ; Lc 11,15) ? Qui furent les principaux responsables – acteurs et instigateurs – de sa crucifixion (“supplice le plus cruel et terrible” selon Cicéron) le vendredi 7 avril de l’an 30, veille de Pâque, la grande fête juive ? Que fut le rôle et les mobiles de Judas ? Comment Jésus a-t-il affronté cette mort atroce ? Que peut-on dire dans une perspective historique de sa Résurrection – à distinguer des trois “revifications” (= retours à la vie) opérées miraculeusement par le Christ, et de ses apparitions – qui ne se présentent ni comme des “visions”, des “songes”, des “révélations ésotériques” mais bel et bien “comme un “voir” réel” ? En quoi, en définitive, Jésus de Nazareth se distingue-t-il radicalement d’autres personnages “charismatiques”, tel Socrate ou Apollonios de Tyane “le thaumaturge grec le plus connu du Ier siècle” ?
“Plein d’humanité” et “prophète du Royaume”
Ce sont là quelques-unes des nombreuses questions et énigmes auxquelles répond avec un maximum de précision et de clarté cette ample biographie historique du fondateur du christianisme. Une véritable somme qui n’a rien d’assommante, au contraire, elle est passionnante de bout en bout (et peut d’ailleurs être abordée par n’importe quel bout grâce à une table des matières simple et précise) – pour une connaissance plus intime de Jésus, “un homme profondément ancré dans la vie courante, qu’il valorise dans toutes ses dimensions, quelqu’un qui aborde les personnes et les choses avec affection et humanité, avec bienveillance et en fin de compte avec humour”. Cette approche de son humanité ne voile pas le mystère messianique de ce “maître plein d’autorité”, “prophète du Royaume”. Loin d’être un mystique parmi d’autres qui connaîtrait des moments de grande exaltation et d’abattement, le Christ est habité par “une force spirituelle constante” : “ce qui porte Jésus, c’est sa confiance absolue en Dieu, aimé comme son Père et celui de l’humanité tout entière”. “Le message est inséparable du messager” : avec sa Résurrection, “un évènement qui surpasse les données de toute approche historique”, “un monde nouveau commence.”
Il est rare qu’un livre aussi richement documenté (mais sans être alourdi par des notes en bas de page) soit si accessible. Une mention pour la fluidité de la traduction.
Jésus : une biographie historique, d’Armand Puig i Tàrrech. Éditions Desclée de Brouwer, 840 pages, 22 euros.