Le Saint-Père a répondu à une lettre ouverte du théologien suisse. Le père Eduardo Scognamiglio, professeur de théologie dogmatique, commente les échanges.L’infaillibilité du Pape. En mars dernier, le théologien suisse Hans Küng avait écrit au Saint-Père pour lui demander “d’ouvrir un débat libre et impartial” sur la question. La lettre disait ceci :
J’implore le pape François qui m’a toujours répondu de manière fraternelle : acceptez cette documentation et permettez un débat libre, sans préjugés et ouvert dans notre église sur toutes les questions non résolues ou étouffées qui sont liées au dogme de l’infaillibilité. Ce n’est pas un relativisme trivial qui mine le fondement éthique de l’Église et de la société. Mais ce n’est pas non plus un dogmatisme impitoyable et abrutissant ne jurant que par la lettre qui empêche un renouvellement complet de la vie et de l’enseignement de l’Église, et bloque des progrès sérieux dans l’œcuménisme.
Selon le quotidien italien Corriere della Sera (du 28 avril), le Pape a répondu au théologien, lui envoyant à son tour “une lettre fraternelle” dans laquelle, selon un compte-rendu du théologien, il aurait dit “apprécier ses considérations” et n’aurait “mis aucune restriction” à une éventuelle discussion.
François, rapporte le Corriere, n’a jamais parlé du dogme de l’infaillibilité défini par le concile Vatican I et Pie IX le 18 juillet 1870. Mais il s’agit probablement du dogme le plus incompris et le plus débattu. Contrairement à ce que beaucoup croient, le Concile Vatican I ne dit absolument pas que le Pape est infaillible tout court. Le Pape est un être humain et la première chose que François a dit au conclave, aussitôt après son élection, c’est : “Je suis un pécheur”.
Après de longues discussions, il fut établi en 1870 que le Pape est infaillible uniquement “lorsqu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, une doctrine sur la foi et les mœurs”. Les cas sont très rares, comme en 1950 lorsque Pie XII proclama solennellement l’Assomption de la Sainte Vierge Marie au ciel. Mais l’extension de l’infaillibilité reste un sujet de discussion entre les théologiens. La position de Hans Küng est nette : il voudrait l’abolir ou du moins la soumettre à une révision radicale.
La citation de Karl Rhaner
Le Père Edoardo Scognamiglio, professeur de théologie dogmatique à la Faculté pontificale de Théologie de l’Italie du sud (Naples), rappelle avant toute chose à Aleteia ce que le théologien jésuite Karl Rahner ne cessait de dire : “Il peut exister une Église sans Pape mais pas un Pape sans Église”. Nous citons cette phrase pour aider les croyants à redécouvrir le ministère de Pierre à l’intérieur de l’Église, soit comme un service pour l’unité de la foi.
Au service de l’Église
La primauté de l’évêque de Rome, poursuit le théologien, “est toujours au service de l’Église catholique, c’est-à-dire au service de la tradition vivante de la foi, vécue et transmise au fil des siècles à tous les croyants en Jésus Christ. Nous devons nous défaire de cette idée que le pape François veut ou peut dire quelque chose qui aille contra la tradition de l’Église catholique”.
Certes, ajoute le théologien franciscain, “nous devons être capables de faire la distinction entre la doctrine de l’Eglise catholique et les opinions personnelles ou les hypothèses que peuvent suggérer ou formuler, dans certains domaines, des évêques, des théologiens, voire même un pape, de manière privée et personnelle. Il est un fait certain, d’un point de vue théologique, que le ministère pétrinien doit toujours avoir en vue l’unité de l’Eglise. Même une déclaration infaillible du Saint-Père a toujours lieu en sa qualité de pasteur de l’Eglise”.
Les vérités de foi
Pourquoi ces précisions? P. Scognamiglio explique qu’il les fait “pour dire que l’infaillibilité du Saint-Père doit toujours être relue comme un service à l’Eglise et pour une compréhension plus profonde des vérités révélées”.
Dans les échanges épistolaires entre le pape François et le théologien Hans Küng, ce n’est pas “le dogme de l’infaillibilité du Pape qui est mis en cause mais plutôt la manière de comprendre aujourd’hui cette primauté dans une perspective collégiale, vis-à-vis du monde et de l’Histoire. Nous savons très bien qu’une déclaration infaillible du Saint-Père – événement assez singulier et rare – porte sur une question de foi et de morale. Il faut faire la distinction entre les langages de la foi qui changent avec le temps et le contenu des vérités de foi qui ont leur stabilité”.
La communication de François
Le pape François “fait levier sur les langages de la foi pour transmettre une vérité de foi qui soit plus accessible. D’habitude, une définition dogmatique – un dogme – n’arrive pas comme une météorite tombant soudainement sur notre orbite ecclésiale. C’est une vérité qui a mûri avec le temps, ou bien le résultat d’un lent processus de réception d’une doctrine essentielle à la vie même de l’Eglise catholique et qui est, en quelque sorte, déjà présente dans la tradition vivante de la communauté des croyants”.
Maître ex cathedra
Une définition dogmatique – prononcée ex cathedra par le Saint-Père ou par un concile en communion avec l’évêque de Rome – “est toujours le reflet de la conscience de l’Église dans le temps. Autrement dit, souligne Edoardo Scognamiglio, une vérité de foi interpelle la vie des croyants et pénètre profondément le vécu ecclésial de chaque communauté. Quand le Saint-Père prend seul une décision doctrinale contraignante et définitive pour tous les croyants, il agit dans sa fonction de maître suprême de l’Église catholique, c’est-à-dire ex cathedra, en faisant appel à son autorité suprême en matière de doctrine. Bien entendu, le Pape n’est jamais infaillible dans sa conduite personnelle ni dans ses opinions privées. L’infaillibilité concerne toutes les vérités de la Révélation libérées d’erreurs et de malentendus”.
Le magistère de l’Église peut donc “manifester un jugement sur tout ce qui, avec les doctrines révélées, est dans un rapport tel à détruire ou mettre en péril, si affirmé ou nié, la foi dans son ensemble ou une quelconque vérité s’y rapportant”.
Des approfondissements
Concernant l’infaillibilité du Saint-Père, relève l’expert en théologie dogmatique, il faut considérer deux aspects très importants. “Tout d’abord, une déclaration ex cathedra du Pape est toujours à renvoyer à la vie de foi de l’Église, en terme d’obéissance et d’interdépendance, conformément à la tradition vivante de l’Église. Deuxièmement, telle définition dogmatique a son histoire et donc, en tant que formule elle admet, dans sa compréhension et définition, des approfondissements et des variables”. Autrement dit une définition infaillible “n’est pas une formule ultime, définitive, qui embrasse toute réalité. C’est toujours un élément solide qui admet de nouveaux développements. Il en découle que toute déclaration infaillible du Saint-Père ne peut jamais outrepasser la foi de l’Église”.
L’auto-participation de Dieu
Le besoin que le pape François a manifesté au théologien Hans Küng d’approfondir le sens de l’infaillibilité du Pontife romain “révèle le caractère essentiellement social et ecclésial du dogme, car la Révélation de base s’adresse à l’Église. D’autre part, répétons-le, le dogme rend tangible l’unité de l’Église, et c’est comme cela que se présente la validité permanente de la Parole de Dieu adressée à l’Église et que celle-ci conserve dans la tradition vivante”.
Cela veut dire que le dogme est “la vie”, conclut le franciscain, qu’il l’est “dans la mesure où en lui a lieu l’auto-participation de Dieu et, donc, on ne peut le comprendre que dans la réalité de ce à quoi l’on croit, c’est-à-dire à travers la grâce, et parce que l’on croit en Dieu”.