Seconde partie de la rencontre avec l’auteur de “Rien que l’amour”, Prix 2016 de la littérature religieuse.L’auteur du très remarqué Petit traité de la joie, Prix humanisme chrétien 2013, revient cette année avec un nouvel essai, récompensé par le Prix 2016 de la littérature religieuse. Il s’est confié à Aleteia sur sa vision du mal, de la souffrance et de la mission du chrétien à l’ère moderne.
Aleteia : Vous dites qu’il “ne peut arriver au chrétien que l’amour”. Comment comprendre et vivre les souffrances que nous endurons ?
Martin Steffens : Il faut se revêtir de charité (saint Paul, lettre aux Colossiens, 3, 14). C’est-à-dire se revêtir de la nudité même de Dieu : nudité de Dieu fait bébé dans la Crèche, ou homme nu sur la Croix. Aller au monde avec une chair offerte, qui ne se carapace pas, qui ne prétexte pas du mal pour créer de nouvelles idéologies dans lesquelles se draper. Car la souffrance de cette chair dont Dieu, en s’incarnant, a voulu nous revêtir authentifie que nous sommes bel et bien en vie et que, cette vie, nous la recevons de Dieu. Seul celui qui est mort s’habitue au mal et à la mort.
Si “la croisade ne se fait plus par l’épée” quel est l’arme des chrétiens pour lutter contre la barbarie ?
Redevenir chrétiens. Être la Lumière du monde : être ce lieu, forcément rare, où nous vivons de l’amour même de Dieu. “Aimez-vous les uns les autres” : en nous donnant dans l’Evangile de saint Jean ce qu’il appelle un “commandement nouveau”, Jésus non seulement nous donne son amour (“comme je vous ai aimés”) mais il nous offre les uns aux autres. L’Eglise est-elle vraiment ce lieu où l’on s’accueille les uns les autres comme le cadeau que nous fait Dieu ? Jésus continue : “C’est à l’amour que vous vous porterez les uns aux autres que le monde reconnaîtra que vous êtes mes disciples”. Jésus donne donc cet amour comme signe de son Église. Mais comment est-ce possible, puisque l’amour, comme tout lien, est invisible ? C’est un lien invisible, certes, mais qui finit par porter du fruit. Les vraies communautés chrétiennes, je pense aux paroisses dans lesquelles, vraiment, chacun est d’abord pour l’autre l’aimé du Christ, je pense aussi aux familles qui vivent quotidiennement leur fratrie comme une fraternité, finissent par donner à leurs membres un visage plus serein, plus joyeux… C’est un signe discret, pour ceux qui veulent voir. Cela empêche-t-il le monde de sombrer dans la barbarie ? Oui, c’est évident. Mais l’évidence est discrète.
Cela signifie aussi que l’Église doit arrêter ses compromis avec un monde qui, de toute façon, ne veut plus d’elle. Ainsi pourra-t-elle vraiment se mettre à son service, en accueillant celles et ceux que ce monde ne nourrit plus. Elle doit être cette proposition d’une vie autre, où sont déclarés heureux les affligés, parce qu’ils y sont consolés. Un pasteur américain disait : on a inoculé au monde juste assez de christianisme pour l’en immuniser. L’Église doit cesser de “défendre des valeurs” pour être une vie à la suite de Jésus.
Quelles lectures conseiller au chrétien qui sent la peur gagner sur sa foi ?
Le Dialogue des Carmélites de Georges Bernanos offre une puissante méditation sur la peur. Il y a aussi les Psaumes, car tous les sentiments humains y sont exprimés, même les plus violents. Ca a d’ailleurs été le propos de Rien que l’amour : dire, à la façon des Psaumes de supplication, quelle est ma colère, quelle est ma peur face à la résurgence de l’État totalitaire… quel est aussi mon grand et maladroit désir d’aimer. Ce livre n’est pas l’exposé de thèses philosophiques mais exprime un combat intime et universel, entre la peur et la foi. Ce qu’il faut aussi lire et relire, c’est la parabole du bon grain et de l’ivraie: quelque chose silencieusement pousse, et Dieu s’occupera du reste. C’est Dieu, pas nous, qui fera le tri. Et il le fera. Alors construisons son Royaume, dès maintenant.
Propos recueillis par Camille Tronc
Retrouvez la première partie de cet entretien en cliquant ici
Rien que l’Amour : Repère pour le martyre qui vient de Martin Steffens. Éditions Salvator, octobre 2015, 90 pages, 10 euros.