Monique Gosselin-Noat, universitaire à Paris X, nous transporte dans l’univers bernanosien à travers ses six principaux romans. 1ère partie.Monique Gosselin-Noat nous raconte dans l’ensemble les œuvres de Bernanos. Entretien à propos de son dernier livre, Bernanos, romancier du surnaturel.
Aleteia : Vous avez déjà publié plusieurs livres sur Bernanos. Quel est l’angle que vous avez choisi pour ce nouvel ouvrage ?
Monique Gosselin-Noat : J’avais déjà publié une thèse conséquente traitant des romans de Bernanos, un ouvrage universitaire et parfois alourdi de démonstrations. Je voulais donc faire un travail qui s’adresse davantage au grand public. Le but, c’est d’accompagner le lecteur pour lui faire découvrir les romans de Bernanos. Il m’a semblé important de tracer des allées et donner des pistes car les romans de Bernanos ne sont pas d’un abord aisé. Ils peuvent paraître obscurs aux yeux du lecteur car ils nous font pénétrer dans un monde souvent ténébreux. Les jeunes lecteurs sont ma cible principale, et ils ne sont peut-être plus suffisamment imprégnés de culture biblique. Il m’a semblé évident que les romans de Bernanos avaient beaucoup à leur dire et qu’il fallait les initier à cet univers romanesque.
Quel est l’apport de Bernanos à la littérature de l’entre-deux-guerres, cet apport peu-il le rendre actuel encore aujourd’hui ?
La période qui relate le souvenir de la guerre de 1914 est toujours présent, il ouvre une sorte de porte littéraire sur le monde spirituel et surnaturel. La littérature qui dominait alors était centrée sur des problèmes psychologiques (Gide, Arland). Les romans de Bernanos sont engagés dans la société (préoccupations sociales, politiques) et constituent une ouverture sur la transcendance. Bien sûr, ses réflexions d’ordre temporel sont toujours subordonnées à une vision spirituelle. C’est la grande originalité de Bernanos dans une littérature partagée entre romans d’analyse, romans engagés tels que ceux de Martin du Gard, de Nizan ou encore ceux qui s’attachent surtout à une représentation socio-historique.
Quelles difficultés présente l’accès à l’œuvre de Bernanos?
Les difficultés sont variables suivant les romans. Sous le Soleil de Satan par exemple, son premier roman, a de grandes beautés et Bernanos y fait preuve de beaucoup de créativité. Le personnage principal, le vicaire Donissan, est original par la force de sa vision, le caractère radical de son appréhension de Dieu et du mal. Mais, il présente un catholicisme intransigeant qui peut rebuter aujourd’hui. Le héros est bien sûr obéissant à l’égard de l’Église mais il est sans concession vis-à-vis du siècle, ce qui peut paraître démodé après Vatican II. Donissan rappelle en cela le curé d’Ars mais ce n’est plus le catholicisme tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, après Vatican II.
Dans l’Imposture, l’obstacle est l’élucidation presque impossible de cette imposture qui fait l’objet du roman. Bernanos s’est livré à une étude extrêmement complexe, très forte, mais aussi inquiétante; il s’agit d’un roman dostoïevskien, énigmatique, difficile et parfois polémique. Cela peut entraîner le désarroi du lecteur. Bernanos a reconnu plus tard qu’il n’avait toujours pas le secret d’une imposture dans ce roman, qui se cristallise sur le problème de la foi et de l’incroyance dans l’âme d’un prêtre.
Vient ensuite La Joie, un roman plus accessible mais sans concession car le récit débouche dans la mystique, au sein de la modernité de l’époque. Si l’on veut saisir l’unité profonde de ce récit, il faut aller chercher dans les dernières séquences qui forment une réécriture de la Passion. Le romancier a dû faire accepter au lecteur une mise en récit de la communion des saints ; chacun des représentants de la modernité est amené à livrer son secret, celui d’un vide ou d’un mensonge où l’héroïne est sans doute une mystique, qui reçoit et peut-être rachète à l’instar du Christ.
Le roman qui me paraît être le chef d’œuvre de Bernanos, le Journal d’un curé de campagne, est le plus abordable : il est parfaitement composé. Seul pourrait encore rebuter le cadre archaïque du village ou les nombreux personnages de prêtres en soutane (comme c’était le cas dans les années trente). Si l’on accepte de rentrer dans ce roman, on se rend compte que toutes les expériences fondamentales de l’existence sont au cœur du texte. C’est un récit lumineux où l’écriture est limpide, poétique, ponctuée de silence, grâce à la force des personnages créés et à l’intensité des dialogues.
Comment Bernanos considère t-il Satan et plus généralement le mal ? Comment le représente t-il ?
Bernanos croit-il à Satan ? La question sous-jacente, c’est celle de la dimension personnelle du mal. En cela, Bernanos reste fidèle à l’Écriture ; le tentateur est présent dans l’horizon du texte. Satan est incarné tour à tour par l’un ou par l’autre personnage. Bien qu’aucun personnage ne soit une hypostase du mal absolu, celui-ci se cache chez chacun de nous. C’est le sens de la réplique du saint abbé Chevance (L’imposture) à la question indignée de l’abbé Cénabre : “Me croyez-vous donc capable ?…” “Nous sommes capables de tout”. Et ce grand confesseur d’âmes sait de quoi il parle ! Bernanos ne représente pas un Satan fantastique, mais pense qu’il y a une puissance personnelle du Mal qui travaille le monde et risque de nous faire succomber à la tentation, en particulier celle du désespoir et de nous faire sombrer dans une angoisse mortelle. L’espérance est souvent soulignée comme la “détermination héroïque de l’âme”, une vertu théologale et une grâce comme nous en sommes rendus témoins dans Journal d’un curé de campagne lorsque la comtesse reprend confiance en Dieu. Elle évoque une espérance “qui est comme la chaire de [sa] chair”. Or celle-ci lui a été rendue après que le curé, héros du roman, a prié, inspiré par l’Esprit. Seule la prière peut tout à fait venir à bout du Mal dans l’univers bernanosien.
Les mystères du Mal (Sous le soleil de Satan) ou de la foi (L’imposture) sont des sujets lourds. Est-ce à dire que lire un roman de Bernanos revient à se livrer à un questionnement radical sur l’existence ?
Oui, C’est toute la difficulté pour aborder Bernanos. Il est extrêmement exigeant et radical. Pour lui, l’essentiel passe par la communication entre les personnes. Face à Dieu, ou face à l’autre, les personnages vont jusqu’au bout d’eux-mêmes. La lecture de Bernanos peut donc susciter une grande angoisse, ébranler fortement le lecteur, soulever en lui des interrogations très fortes comme : “Où allons nous ?”, “Quel est le sens de notre vie ?”, “Sommes-nous toujours seul ?”, “Peut-on partager en profondeur quelque chose ?”. Des questions que l’on peut être tenté d’esquiver. Pour résumer, on ne lit pas Bernanos pour se divertir car il nous entraîne dans la profondeur et la vérité du monde. Ce peut être une découverte décisive.
Propos recueillis par Jean Muller
Bernanos, romancier du surnaturel de Monique Gosselin-Goat. Éditions Pierre-Guillaume de Roux, septembre 2015, 22,90€.
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