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Le sens de l’humour : un trésor spirituel !

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Louis Charles - Le temps d'y penser - publié le 09/03/16
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Dans les milieux chrétiens la joie est souvent plus valorisée que l’humour.La joie d’être sauvé et la joie de se savoir aimé sont considérées – à juste titre – comme les signes extérieurs et les symptômes objectifs d’une foi vivante et non seulement théorique. Au point que l’absence de joie est suspecte. Frédéric Nietzsche disait  qu’il croirait peut-être en Dieu si les chrétiens avaient des “gueules de ressuscités”.

La joie des saints est même leur dénominateur commun : avant d’être reconnus saints ils doivent préalablement être reconnus bienheureux.

Pourtant le sens de l’humour me semble encore trop ignoré chez les chrétiens et chez les catholiques en particulier. Espérons que la récente publication de la première biographie française consacrée à GK Chesterton [1] contribuera à changer cette situation et convaincre les croyants que le sens de l’humour est un outil de sanctification par excellence.

D’abord parce que le sens de l’humour permet d’humaniser notre vie ici-bas en nous aidant à ne pas nous laisser détruire par les coups de la vie et à regarder le mal en face sans pour autant sombrer dans le désespoir.

Ensuite parce qu’il contribue à la conversion de nos cœurs en prévision de la vie éternelle. Les vérités qu’on a le moins envie d’entendre sont celles dont on a le plus besoin et le sens de l’humour nous donne accès, de manière indolore parce que détournée, à ces vérités fondamentales qui nous paraissent trop souvent paradoxales – et donc inacceptables – parce qu’elles dénoncent le monde d’illusions et de mensonges dans lequel nous vivons.

Le sens de l’humour est d’abord une technique de survie

Le sens de l’humour lève les inhibitions qui nous paralysent face aux puissants ou face à ces proches dont nous redoutons le jugement. Le sens de l’humour est l’issue de secours qui permet à l’expression de nos émotions et de nos convictions de ne pas être étranglées.

En cas d’agression psychologique, verbale ou physique celui qui est dépourvu de tout sens de l’humour ou celui qui ne parvient pas à le mobiliser pour répliquer n’a le choix qu’entre la fuite, la soumission ou la rébellion et aucune de ces solutions ne le laissera indemne émotionnellement.

Même en choisissant l’affrontement et en gagnant le prix émotionnel à payer est exorbitant. L’affrontement suppose de mobiliser sa colère pour la recycler en source d’énergie et implique d’accepter la surenchère pour triompher.

La soumission et la fuite entraînent nécessairement une dégradation de l’estime de soi. Dans tous les cas et quel que soit le résultat la personne agressée aura nécessairement à gérer les blessures affectives qu’elle aura reçues, le stress post-traumatique que la mémoire amplifiera et un sentiment d’épuisement affectif.

À l’inverse celui qui se sert de l’humour comme d’une technique d’auto-défense en ressortira émotionnellement vainqueur même en étant physiquement perdant. Il échappera à l’humiliation volontaire comme à la surenchère en déplaçant le conflit sur un terrain où il se retrouvera en position de supériorité.

Cela lui permettra de ne pas sombrer dans l’épuisement, l’auto-dénigrement ou les souvenirs traumatisants. Même maltraité extérieurement il se sera protégé intérieurement et le siège de son intégrité morale et affective aura été préservé. S’empresser de rire de tout pour ne pas avoir à en pleurer, c’est la voie de la sagesse.

Le sens de l’humour, un art martial non-violent

C’est une forme de non-violence active qui ressemble à la philosophie de l’aïkido japonais ou du systema russe. C’est une forme de lâcher prise qui ne permet pas d’épargner systématiquement la douleur mais qui en réduit considérablement l’intensité et la portée.

On dit parfois de l’humour que c’est l’élégance du désespoir. L’expression est intéressante parce qu’elle suggère que même désespéré on peut conserver suffisamment d’estime de soi pour faire bonne figure et rester élégant moralement.

Cela suppose bien sûr de s’entendre sur le sens des mots et de bien distinguer le sens de l’humour de la moquerie et de la raillerie qui visent à blesser autrui. Le sens de l’humour consiste à regarder en face la tragédie du monde et de l’existence pour en souligner les aspects comiques, ridicules, absurdes ou insolites, pas à se moquer de sa belle-mère !

C’est une manière d’accueillir la douleur et de la raccompagner vers la sortie pour l’empêcher de s’installer. C’est une source intarissable d’espérance pour ceux qui souffrent – l’humour juif est né des persécutions – et une manière de substituer le plaisir à la douleur.

Quand l’humilité s’unit à l’amour ils engendrent l’humour

Le sens de l’humour repose également sur l’humilité : il faut d’abord consentir à regarder la réalité telle qu’elle est et à se regarder soi-même tel que l’on est. Cette lucidité préalable suppose d’avoir le courage de regarder en face ses limites et ses faiblesses pour pouvoir en rire à son tour. Heureux ceux qui savent rire d’eux-mêmes ils n’ont pas fini de s’amuser !

Il repose ensuite sur la vérité parce qu’il fait sauter toute prétention, toute boursouflure et tout mensonge. L’humour est toujours subversif parce qu’il révèle des vérités que l’on préfère cacher. Il démasque nos propres mensonges y compris ceux que nous cherchons à faire cautionner par Dieu.

Comme disait Voltaire, qui pourtant n’était pas un père de l’Église : “Si Dieu nous a faits à son image nous le lui avons bien rendu”. Son sens de l’humour est à la fois révélateur et prophétique puisqu’il anticipe Nietzsche qui déclarera au siècle suivant : “Dieu est mort (…) et c’est nous qui l’avons tué !”.

Le sens de l’humour repose enfin sur la charité parce qu’il repose sur la bienveillance envers autrui. C’est d’ailleurs ce qui le distingue de la moquerie ou de la raillerie qui sont dirigées contre autrui. La moquerie est naturelle au même titre que le péché originel, pas l’humour. Le sens de l’humour n’est jamais l’expression d’un mouvement d’humeur ou d’un trait d’esprit brillant mais éventuellement blessant.

Le Christ lui-même en fournit un bon exemple, au point que certains exégètes ont parlé d’ironie christique. Acculé par un groupe de pharisiens qui cherchent à le piéger en lui jetant dans les pieds une femme adultère et en lui demandant ce qu’il fallait en faire, le Christ ne relève pas le défi mais ne se dérobe pas non plus.

Il se contente de répliquer : “Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ». Puis, après leur départ honteux – l’Évangile précise qu’ils partirent tous « en commençant par les plus âgés” – il enfonce le clou de l’ironie en demandant à la femme adultère sur un ton faussement étonné : “Eh bien, où sont donc passés tes accusateurs ? Personne ne t’a condamnée ?” (Jean 8, 7-10).

Le sens de l’humour n’est pas naturel, il est culturel

Rire de soi-même est un exercice de dépossession qui n’est pas naturel. Nous avons naturellement honte de nos faiblesses et notre tendance spontanée est de les dissimuler et de détourner l’attention sur celles d’autrui.

Le sens de l’humour est, à l’inverse, une disposition de l’esprit qui peut amener à exhiber ses propres faiblesses pour les subvertir par le rire. Cela suppose d’admettre sa propre vulnérabilité et d’accepter de reconnaître sa dépendance vis-à-vis des autres et vis-à-vis de l’Autre par excellence.

Le sens de l’humour n’est pas naturel mais culturel. Dans certaines cultures c’est même un art : l’humour anglais ou l’humour juif sont des acquis de civilisation et sans doute une des explications de leur capacité collective à se remettre en cause et à innover. Le sens de l’humour est culturel et c’est pour cette raison qu’il s’acquiert, s’éduque, se cultive et surtout se pratique.

Comme la vie spirituelle le sens de l’humour se nourrit, croît et se transmet parce que, comme la foi, il permet de croître en maturité, en humanité et en intelligence de la vie.

Le sens de l’humour agit comme le révélateur de vérités paradoxales

Le sens de l’humour est également un merveilleux révélateur de ces vérités paradoxales qui, précisément parce qu’elles sont paradoxales, sont négligées ou oubliées.

L’art du paradoxe c’est l’art de renverser les paradigmes, la capacité d’opérer des changements de perspectives. A l’image de Tristan Bernard sous l’Occupation. Arrêté un petit matin en tant que Juif pour être interné au camp de Drancy, il est emmené par les policiers/ Il n’a qu’un instant pour adresser un mot de réconfort à son épouse bouleversée. Il lui glisse alors à l’oreille : “Pourquoi pleurer ? Jusqu’à présent nous vivions dans l’angoisse, désormais, nous vivrons dans l’espoir”.

Parce qu’il éclaire les angles morts et révèle le dessous des cartes, le sens de l’humour nous prémunit contre les fausses évidences et nous libère des apparences.

Il prédispose ceux qui le pratiquent à accueillir de la Bonne nouvelle qui est le renversement de paradigme par excellence puisqu’il porte sur notre condition humaine et notre destinée individuelle.

C’est aussi le baume que les chrétiens peuvent passer sur le cœur de ceux qui redoutent, fuient ou refusent un Dieu vengeur et courroucé qu’on leur a présenté à tort comme le leur.

CS Lewis apaise les angoisses existentielles de bien des lecteurs quand il écrit à propos du jugement dernier : “Au fond l’humanité se divise simplement en deux catégories de personnes : ceux qui disent à Dieu Que ta volonté soit faite et ceux auxquels Dieu dit Que ta volonté soit faite. Tous ceux qui vont en enfer font partie de cette dernière catégorie”.

C’est enfin pour les chrétiens un antidote contre la tentation du fanatisme. Une foi aiguillée par le sens de l’humour est une foi qui apporte du sens au lieu de transformer la foi en un catalogue de sens interdits. C’est l’antidote au fanatisme puisque comme disait André Frossard, “les fanatique sont ceux qui font la volonté de Dieu…que Dieu le veuille ou non !”.

Le sens de l’humour est l’outil pédagogique par excellence et donc la meilleure manière d’annoncer le Dieu de Jésus-Christ. Mais au-delà même de ses vertus pédagogiques le sens de l’humour est d’abord une manière d’être au monde.

Une manière d’être dans le monde – en l’acceptant tel qu’il est – sans être du monde, en refusant la logique de la surenchère dans la colère et la haine. C’est une manière de se réconcilier avec le monde et de l’aimer sans le cautionner ni le juger.

Le sens de l’humour devrait être la voie de sanctification privilégiée des chrétiens.

[1] Le Divin Chesterton, de François Rivière aux éditions Rivage (ça ne s’invente pas !)

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