Il est monnaie courante, de nos jours comme depuis un siècle, d’entendre des discours faisant du missionnaire la pilule permettant de faire digérer aux peuples étrangers le colonialisme occidental.Il est devenu monnaie courante de percevoir le missionnaire comme emporté dans la valise du colonisateur – finalement en une sorte de lecture marxiste faisant du colonisateur l’infrastructure (économique) et du missionnaire la superstructure (idéologique) de l’impérialisme occidental.
Faites cette expérience avec vos avis, vous verrez. Il reste en France ce zeste d’anticléricalisme qui assimile dans un même élan celui qui va annoncer le Christ et celui qui va faire des découvertes, ou du profit, ou d’autres choses encore. Et ce d’ailleurs bien que les historiens soient fort nuancés sur la question.
Le Christ a voulu dompter le monde non par le fer mais par le bois
À cela, quelques lignes de la “règle” des Missions étrangères de Paris – les Monita ad Missionarios, datant de 1665 – suffisent à répondre avec la plus grande clarté. L’esprit missionnaire n’est pas un esprit de soumission : il est l’esprit exprimant la joie de ceux voulant annoncer la Joie.
Aucune violence ne doit être employée pour propager l’Évangile du Christ.
Nous ne voulons pas nous prononcer ici sur ce qui s’est passé aux Indes. Des officiers publics et de simples particuliers y ont fait usage de violence pour introduire la foi et ont même eu recours aux armes. Nous ne voulons pas non plus discuter l’opinion de certains docteurs qui enseignent qu’il est parfois permis d’obliger les sujets infidèles à écouter l’évangile, et de briser tout obstacle ou tentative des ennemis jurés du nom du Christ. Mais ces moyens de propager la religion chrétienne chez les infidèles ne sont pas conformes à l’esprit de la Sacrée Congrégation de la Propagande, et ils nous sont strictement défendus. Afin donc d’éviter à nos missionnaires tout abus de ce genre, fût- ce même pour leur défense personnelle ou la sauvegarde de leur Église, il est raisonnable de montrer combien pareille violence jure avec la conduite de Notre Seigneur et des Apôtres, lors de l’établissement du Royaume de l’Évangile.
Eh bien, le Christ a voulu dompter le monde non par le fer, mais par le bois. Il envoya ses Apôtres comme des brebis au milieu des loups (…).
Que le missionnaire apostolique se surveille donc. Il ne faut pas que s’échappent de sa bouche telles paroles que bien des missionnaires n’ont pas honte de proférer ; d’après eux il ne faut plus rien attendre des clefs de S. Pierre pour la conversion des infidèles, si le glaive de saint Paul n’ouvre le chemin (…).
Dans toute guerre, il se comportera avec prudence, sans que ses paroles ni ses actes puissent prêter occasion au soupçon de favoriser l’un ou l’autre des deux parties en présence (Chapitre III, article 3).
Sans doute l’Histoire a-t-elle eu ses excès et ses perversités, à n’en pas douter. Il reste néanmoins que si c’est bien le message ci-dessus qui a fait partir des milliers de jeunes prêtres pour l’Asie depuis plus de trois siècles, on peut se rassurer et se dire que “l’Esprit souffle où il veut” : la folie des hommes n’épuise pas la sagesse de Dieu.
Laissons la parole aux Monita pour conclure – et bien des ONG pourraient s’en inspirer :
Ne mettez aucun zèle, n’avancez aucun argument pour convaincre ces peuples de changer leurs rites, leurs coutumes et leurs mœurs, à moins qu’elles ne soient évidemment contraires à la religion et à la morale. Quoi de plus absurde que de transporter chez les Chinois la France, l’Espagne, l’Italie ou quelque autre pays d’Europe ? N’introduisez pas chez eux nos pays, mais la foi, cette foi qui ne repousse ni ne blesse les rites ni les usages d’aucun peuple, pourvu qu’ils ne soient pas détestables, mais bien au contraire veut qu’on les garde et les protège. (…)
Il est pour ainsi dire inscrit dans la nature de tous les hommes d’estimer, d’aimer, de mettre au-dessus de tout au monde les traditions de leur pays et ce pays lui-même. Aussi n’y a-t-il pas de plus puissante cause d’éloignement et de haine que d’apporter des changements aux coutumes propres à une nation, principalement à celles qui y ont été pratiquées aussi loin que remontent les souvenirs anciens. Que serait-ce si, les ayant abrogées, vous cherchiez à mettre à la place les mœurs de votre pays, introduites du dehors ? Ne mettez donc jamais en parallèle les usages de ces peuples avec ceux de l’Europe ; bien au contraire, empressez-vous de vous y habituer. (…)
Admirez et louez ce qui mérite la louange. Pour ce qui ne la mérite pas, s’il convient de ne pas le vanter à son de trompe comme le font les flatteurs, vous aurez la prudence de ne pas porter de jugement, ou en tout cas de ne rien condamner étourdiment ou avec excès.