Interview exclusive du métropolite Hilarion de Volokolamsk président du Département des relations ecclésiales extérieures du Patriarcat de Moscou.Pravoslavie i mir : Quelle est l’atmosphère à Cuba ? Comment sont les relations avec Raúl Castro ? Y a-t-il eu une rencontre avec lui ?
Hilarion de Volokolamsk : L’atmosphère est festive. Les scènes de la rencontre du Pape et de Patriarche ne quittent pas les écrans de la télévision cubaine. Les contacts avec Raúl Castro ont commencé dès l’arrivée du Patriarche à Cuba, leurs relations durent depuis de nombreuses années. Alors qu’il était président du DREE, le Patriarche actuel s’est rendu à Cuba. C’est à son initiative qu’a été créée la paroisse de Cuba et qu’a ensuite commencé la construction d’une église. Et c’est lui qui a consacré l’église. Raúl Castro a, dès le début, soutenu ce projet. En 2009, alors que le métropolite Cyrille était devenu patriarche, il a rencontré le chef du gouvernement cubain lorsque celui-ci est venu à Moscou en visite officielle.
Cette fois-ci, ils se sont retrouvés comme de vieux amis. Leur entretien a été très constructif. Je me souviens de ce que Raúl a dit à propos de la rencontre du Pape et du Patriarche : “Nous avons un proverbe qui dit “le chemin le plus long commence toujours par un premier pas”. Et c’est bien vrai. La rencontre du Patriarche et du Pape est un premier pas qui doit être suivi d’une longue route. La rencontre avec Fidel Castro doit avoir lieu aujourd’hui dans l’après-midi. Cette année le leader de la Révolution cubaine va fêter ses 90 ans.
Dites-nous quels sont les points importants de la visite du Patriarche en Amérique latine, outre sa rencontre avec le Pape.
Demain le Patriarche présidera la divine liturgie dans l’église Notre-Dame de Kazan à La Havane. Ce sera le point final de sa visite à Cuba. Ensuite, à l’invitation du président Horacio Manuel Cartes, le Patriarche se rendra en visite au Paraguay. Cette visite sera un hommage à la mémoire historique des représentants de l’immigration russe qui, dans les années 20-30, ont participé activement au développement du pays en organisant des expéditions dans les régions reculées, en étudiant les mœurs des Indiens autochtones, en enseignant dans les universités locales.
Le 15 février, pour la fête de la Sainte Rencontre de notre Seigneur (Chandeleur), le Patriarche présidera la divine liturgie dans l’église russe de la Protection de la Mère de Dieu d’Asunciόn. Ensuite le Patriarche se rendra sur le carré russe du cimetière de la ville pour y célébrer une litie des défunts. Ce jour-là, il rencontrera aussi le président Horacio Manuel Cartes et nos compatriotes vivant au Paraguay.
La visite du Patriarche au Brésil commencera par la capitale Brasilia où il rencontrera la présidente Dilma Rousseff. Il est prévu que le Patriarche se rende à Rio de Janeiro pour prier sur le mont Corcovado au pied du Christ Rédempteur, puis dans l’église Sainte-Zénaïde (Église orthodoxe russe) et rencontrer le cardinal Tempesta, archevêque de Rio de Janeiro. La visite du Patriarche au Brésil s’achèvera le 21 février à San Paolo où le Patriarche présidera la divine liturgie dans la cathédrale Saint-Paul (Patriarcat d’Antioche) et se rendra à l’église de l’Annonciation (Église orthodoxe russe).
Peut-on dire que les deux Églises ont changé leur point de vue sur l’uniatisme ? Est-ce que les orthodoxes ont trouvé les mots d’apaisement et d’admission ? Les catholiques reconnaissent-ils les problèmes existants ?
Déjà en 1993, dans le document de la commission du dialogue orthodoxe-catholique signé à Balamand (Liban), les catholiques ont reconnu le problème et ont admis que la voie du catholicisme grec n’est pas une solution pour l’union. La déclaration commune des deux pontifes reprend ce texte presque mot pour mot : “Il est clair aujourd’hui que la méthode de l’ “uniatisme” du passé, comprise comme la réunion d’une communauté à une autre, en la détachant de son Église, n’est pas un moyen pour recouvrer l’unité.”
Mais nous devons comprendre que reconnaître l’erreur de l’uniatisme, utilisé par le passé, comme méthode n’est pas suffisant. Les effets de cette erreur du passé se font sentir encore de nos jours et l’uniatisme est une plaie ouverte sur le corps du christianisme. Les événements récents en Ukraine où les gréco-catholiques ont pris des positions très agressives et extrêmement politisées l’attestent de toute évidence. La déclaration des deux pontifes évoque la mission commune d’annonce de l’Évangile qui suppose le respect réciproque des communautés chrétiennes et exclut toute forme de prosélytisme. “Nous sommes non rivaux, mais frères”, affirment le Pape et le Patriarche en s’adressant aux croyants des deux Églises. Cette affirmation est importante, elle va changer la perception réciproque des croyants des deux traditions. D’une relation de rivalité qui a assombri les relations entre les deux Église durant des siècles, nous devons passer à une relation de partenariat dans tous les domaines où cela est possible et souhaitable.
Je voudrais insister sur la concordance de vue du Pape et du Patriarche sur la situation en Ukraine. Cette concordance s’est déjà exprimée auparavant quand le Pape a exprimé des idées conformes à celles formulées par le Patriarche, mais la déclaration commune affirme avec force cette identité de vues : “Nous déplorons la confrontation en Ukraine qui a déjà emporté de nombreuses vies, provoqué d’innombrables blessures à de paisibles habitants et placé la société dans une grave crise économique et humanitaire. Nous exhortons toutes les parties du conflit à la prudence, à la solidarité sociale, et à agir pour la paix. Nous appelons nos Églises en Ukraine à travailler pour atteindre la concorde sociale, à s’abstenir de participer à la confrontation et à ne pas soutenir un développement ultérieur du conflit.”
Dans la discussion avec le Patriarche, le pape François a clairement affirmé qu’il considère le Patriarche de Moscou et de toute la Russie comme seule autorité canonique de tous les orthodoxes d’Ukraine. Le thème du schisme est présent dans la déclaration commune : “Nous exprimons l’espoir que le schisme au sein des fidèles orthodoxes d’Ukraine sera surmonté sur le fondement des normes canoniques existantes, que tous les chrétiens orthodoxes d’Ukraine vivront dans la paix et la concorde et que les communautés catholiques du pays y contribueront.”
La déclaration commune exprime le regret de la perte de l’unité, est-ce à dire que des pas vont être faits pour le rétablissement de la communion eucharistique ?
La déclaration commune n’aborde pas les problèmes théologiques. Et cela n’était pas prévu. Les divergences dogmatiques bien connues qui séparent les catholiques des orthodoxes n’ont pas fait l’objet de discussions entre le Pape et le Patriarche. Cependant on ne pouvait pas ne pas mentionner que “Malgré cette Tradition commune des dix premiers siècles, catholiques et orthodoxes, depuis presque mille ans, sont privés de communion dans l’Eucharistie.” La perte de l’unité est la conséquence “de la faiblesse humaine et du péché, qui s’est produite malgré la Prière sacerdotale du Christ Sauveur : “Que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous” (Jn 17, 21).”
Dites-nous comment a été préparée cette déclaration commune, la langue et le style en sont étonnamment beaux.
La déclaration a été rédigée dans la plus stricte confidentialité. Sa rédaction a été assurée par le cardinal Koch, pour l’Église catholique romaine, et par moi pour l’Église russe. Même mes collaborateurs les plus proches qui suivent au Département des relations ecclésiales extérieures les affaires de l’Église catholique ont tout ignoré jusqu’à la dernière minute et du texte de la déclaration et de la rencontre envisagée. Les vrais auteurs de cette déclaration sont le Patriarche et le Pape. C’est leur point de vue sur la situation qui s’exprime dans ce texte. En automne le Patriarche m’a fait part de ses idées concernant ce texte, puis j’ai rencontré le Pape François et je lui ai fait part du contenu global du document. Puis le texte a été rédigé et il a été, par l’intermédiaire du cardinal Koch, mis au point avec le Pape. Les dernières mises au point ont été faites juste avant notre départ pour La Havane. Le cardinal Koch était à l’aéroport quand nous avons mis le point final (il s’est envolé pour La Havane le 10 février au soir, et nous le 11 au matin).
Entretien initialement publié sur”Parlons d’orthodoxie”, depuis Pravoslavie i mir, le portail russe de spiritualité orthodoxe