Arriverez-vous à deviner l’origine de cette Vierge contemporaine ?Si elle a sur d’autres images “la lune sous ses pieds”, ce sont ici d’autres attributs uniques que l’on retrouve autour de la Sainte Vierge.
Selon sa légende la plus populaire, remontant à 1606, trois enfants esclaves appelés tous les trois Jean, deux Indiens des Caraïbes et un Africain, perdus en mer pendant une tempête, virent flotter sur l’eau une image de bois à l’effigie de la Vierge avec cette inscription à sa base : “Je suis la Vierge de la Charité”. Elle les sauva, et on lui édifia un sanctuaire. L’histoire a été consignée par Juan Moreno, le petit Africain de l’histoire, 65 ans plus tard, serment ecclésiastique, et le document est conservé aux Archives des Indes, à Séville.
El Cobre fut le premier lieu de Cuba où les esclaves conquirent leur liberté En 1801, le Manifeste pour la liberté des esclaves des mines de cuivre del Cobre fut lu au sanctuaire, grâce à son chapelain très engagé dans le combat pour la liberté.
La première basilique s’effondra en 1906, car le sous-sol était parcouru de galeries creusées pour extraire le cuivre qui donne son nom à la montagne sur laquelle elle est élevée. Les pèlerins ramènent chez eux des éclats de pierre dorée d’El Cobre comme porte-bonheur. Dans la basilique, la chapelle dite “des Miracles” déborde d’ex-votos ; on y trouve par exemple de la terre d’Angola, rapportée par les soldats cubains qui y combattirent dans les années 1980 contre le régime que soutenait et armait l’Afrique du Sud.
Nommée par le pape Benoît XV patronne de Cuba en 1915, la Vierge de la Charité d’El Cobre, est vénérée par tout un pays, en particulier le 8 septembre, jour de la Nativité de la Vierge. Jean Paul II, Benoît XVI et François lui ont rendu hommage en visitant la basilique.
Une chapelle consacrée à la Vierge d’El Cobre à Lisieux
La Vierge n’a quitté le sanctuaire que cinq fois, la dernière pour faire une tournée dans tout le pays, où elle a été accueillie par toute la population, en liesse. C’était au moment du premier voyage du pape François dans l’île, en 2011. L’île de Cuba, de par sa position géographique, est considérée par toute l’Amérique, du Nord comme du Sud, comme la “clé du Nouveau Monde”. La statuette a visité des hôpitaux, des prisons, des casernes, des théâtres, et jusqu’aux villages les plus modestes, au cours d’un périple de 29978 kilomètres, dont des traversées en bateau, pour rejoindre les autres îles de l’archipel.
Cette Vierge est associée à la divinité de la douceur et des eaux douces Oshun, dans le culte afrocubain (que tous les Cubains assument peu ou prou !). La couleur jaune lui est associée, et sa fleur préférée est le tournesol.
Si le syncrétisme est un sujet épineux en théologie, dans les faits, il donne lieu à un folklore qui unifie chaque société, la pousse vers la communion, au-delà des barrières du statut social, et vers l’élévation de l’esprit, dans un langage simple et commun à tous. Et il n’y a pas de dévotion qui ne comporte d’attachement à des objets symboliques ; le corps, les produits de la nature, les objets familiers ont naturellement leur place dans les rites vivants. Le pape François a offert à la Vierge d’El Cobre un rameau de fleurs en argent. Les Cubains de France ont consacré une chapelle à la Vierge d’El Cobre dans la basilique de Lisieux.
Reprise des formes classiques des icônes byzantines
Luis Pardini, artiste à l’origine de la Vierge ci-dessus, a su par la composition donner à la robe mariale la puissance d’une haute montagne, créant un mouvement ascensionnel. Les montagnes du fond, quant à elles, s’incurvent, se font vallée pour accueillir la Vierge. Les petits personnages de gauche et de droite semblent pris dans des rouages qui leur font aussi des auréoles, et qui font écho à la rosace qui couronne la Vierge. Tous les trois ont la vigueur de héros de la classe ouvrière ; on reconnait là l’héritage du réalisme socialiste européen, développé sur le continent américain en particulier par les grands muralistes mexicains Siqueiros, Diego Rivera et Orozco, qui étaient portés par l’espérance et une générosité bien chrétienne. Leur esquif est bien fragile, c’est un bateau en papier. Il fait écho à une comptine enfantine (“Barquito de papel”), il est censé porter nos rêves, et on lui fait confiance pour nous emmener dans la haute mer de nos souhaits.
Quant aux flots, on remarquera dans leur houle régulière une reprise des formes classiques des icônes byzantines, puis des enluminures médiévales ; et les poissons rappellent les premiers versets de la Genèse, la séparation des eaux et de la terre ferme, avec leur faune respective, et la baleine de Jonas. Ainsi, cette Vierge au visage de petite fille sérieuse, si enracinée dans une contrée précise, rejoint l’origine du monde selon la Bible, et elle sauve, en quelque sorte, à tous les étages.
Pour les anges, qui contrastent par leur style européen et quelque peu galant, voire parodique, ce sont des reprises de l’Ange de la Jiribilla, statuette dorée qui couronne le Grand Théâtre de La Havane, inauguré en 1838. Image de légèreté babillarde, des qualités dans lesquelles les Cubains se reconnaissent, le grand poète catholique José Lezama Lima lui a consacré une prière : “Ange bondissant, prie pour nous. Tu souris, tu obliges les choses à survenir. Montre l’une de tes ailes, lis, réalise-toi, sois antérieur à la mort. Répète : l’impossible, en agissant sur le possible, engendre un possible dans l’infinité. L’image a donné lieu à une causalité, c’est l’aube de l’ère poétique parmi nous. Désormais nous savons que la seule certitude s’engendre dans ce qui nous dépasse.” Le petit Jésus, qui semble flotter dans l’air, est comme l’incarnation de cette foi dans le miracle, seule certitude.