Détruit et inutilisable avant d’être réparé puis béni.L’hiver est une saison propice pour remettre de l’ordre dans les abris de jardin, affûter les outils et vider les paniers et sacs en toile utilisés pendant la saison de production. Or, un jour où j’étais justement en train de vider ces fonds de sacs dans la poubelle, j’ai vu des morceaux de chapelet en plastique et des fragments de chaîne rouillés apparaître avant d’atterrir dans les détritus, suivis du crucifix et de la médaille de Notre-Dame de la Miséricorde, qui étaient encore partiellement attachés au chapelet.
Et là, je me suis arrêtée net.
Quelque temps auparavant, dans une maison de retraite où j’étais jardinière bénévole, on avait trouvé ce chapelet dans le sol. Chaque millimètre du crucifix et de la médaille était souillé et cabossé. Les perles en plastique s’écaillaient et partaient en lambeaux. Quant à la chaîne, elle se disloqua littéralement l’extirpant des racines et des mauvaises herbes.
J’étais intriguée… Comment ce chapelet était-il arrivé là ? Était-il l’objet fétiche d’un enfant, tombé là par erreur ou malencontreusement échappé d’une poche ? Tellement usé qu’on l’avait jugé irréparable avant de l’enterrer là où personne ne marcherait dessus, comme il se doit pour tout objet consacré ?
Quoi qu’il en soit, le chapelet était là, abîmé par ces années passées au milieu des déchets et désormais incapable de s’acquitter de sa fonction première. À moins que…
J’ai brossé la terre avant de ranger le chapelet dans le sac de rangement, avec les outils. Par moments, j’entrevoyais au fond du sac quelques perles, au milieu de la terre sèche et des brindilles. Il allait falloir nettoyer ce sac et jeter les restes du chapelet, désormais inutiles, me disais-je.
Pourtant, en voyant ces vestiges au milieu des déchets, j’ai réfléchi : la croix était probablement consacrée. Impossible de la mettre au rebut, même en si mauvais état. Elle méritait mieux.
J’ai récupéré le crucifix, la médaille et la chaîne rouillée et je les ai nettoyés sous l’eau tellement glaciale du tuyau d’arrosage que c’en était presque douloureux. Plus je nettoyais, plus les pièces révélaient leur beauté. L’usure et la dégradation leur conféraient un intérêt particulier car elles témoignaient de leur histoire, une histoire riche de sens.
Un peu plus tard, pendant que je me faisais infuser un thé, j’ai pris un chiffon à argenterie sous l’évier pour faire reluire le crucifix et la médaille. Pas question, bien sûr, de les remettre à neuf. Mais ils me plaisaient d’autant plus, l’usure ne faisant qu’ajouter à leur beauté.
Tout en parcourant la surface rugueuse de mes doigts, je me disais que le Seigneur, en nettoyant nos impuretés et nos scories, nous régénère chaque fois que nous entrons dans un confessionnal. Et que, comme l’a dit le pape François, “Il [Jésus] revient nous charger sur ses épaules une fois après l’autre. Personne ne pourra nous enlever la dignité que nous confère cet amour infini et inébranlable” (24/11/13, no. 3—Evangelii Gaudium).
Par la Miséricorde du Seigneur, notre beauté est rétablie dans cette humanité parfois délabrée qui est la nôtre. Aussi, il m’a semblé que le chapelet – tout comme nous – avait droit à une seconde chance.
Montant à l’étage avec ces débris – et ma tasse de café –, j’ai sorti mon outillage et me suis mise à l’ouvrage. Parfois, il suffit d’être attentif et conciliant pour offrir une seconde chance.
Certes, les éléments du chapelet étaient en grande partie irrécupérables. Mais pas la médaille ! Restaurée, elle a retrouvé sa beauté d’antan. Rescapée de la dégradation, elle commence une nouvelle vie.