Une question qui n’est pas aussi simple qu’elle en a l’air… La question a été récemment posée par un conférencier en histoire et théologie à l’université de Saint-Paul à Limuru et Nairobi au Kenya. À première vue, la question semble simple et d’actualité, notamment à la lumière des récents massacres de chrétiens au Kenya. À y regarder de plus près, elle ne l’est pas. L’auteur parle des religieux chrétiens au Kenya qui ont déclaré que pour sauver leur vie, les chrétiens peuvent réciter la Shahada. L’auteur est en total désaccord.
La question n’est pas uniquement théologique : le contenu de la “Shahada” est-il diamétralement opposé à la foi chrétienne ? Oui et non. Sa première partie (“Il n’y a pas d’autre dieu que Dieu”), ne pose pas de problème car les juifs, les chrétiens et les musulmans croient tous en un même Dieu. Sa deuxième partie (“et Mahomet est son prophète”) est beaucoup plus problématique pour les chrétiens.
Cependant, la question porte plutôt sur la permission. L’auteur parle de réciter la “Shahada” pour sauver sa vie, “en fait, choisir de renier le Christ pour sauver sa vie“.
Dans les cinq premiers siècles d’existence de l’Église, deux mouvements rigoristes (déclarés hérétiques), le novatianisme et le donatisme se montraient très durs envers ceux qui avaient renié leur foi, considérant que l’Église est “l’Église des saints, et non des pêcheurs”.
Il est intéressant que la même discussion se retrouve dans l’islam et depuis bien des siècles ; dans l’islam, la question est celle de l’apostasie. Une personne ne reniant pas sa foi, mais ne vivant pas selon tous les préceptes de l’islam est-elle une infidèle condamnée à l’enfer ? Les Murji’ites et l’école de jurisprudence Ash’ari ne qualifient pas cela d’apostasie. Les musulmans chiites ont une catégorie “dissimulation, prudence” qui permet aux croyants de renier leur foi en situation extrême. Certaines écoles islamiques sunnites comme les Kharijites, les considèrent comme des infidèles voués à la mort et à la damnation. Ils sont la référence de nombreux musulmans salafistes– djihadistes, poussée à l’extrême par Daesh.
La question doit être abordée sous l’angle pastoral. C’est une question d’ecclésiologie de théologie de l’Église. Si l’Église est exclusivement une communauté de saints, de purs et de héros, il n’y a pas de place pour les faibles. Si elle est une communauté de saints et de pêcheurs, et que comme dit le pape François elle est “un hôpital de campagne après une bataille”, il y a alors une place pour tous.
Le Nouveau Testament décrit Jésus comme celui venu pour les pêcheurs, les malades ; celui qui demande la miséricorde et non le sacrifice. Les chrétiens vivent de terribles persécutions dans de nombreuses régions. Honnêtement, nous ne savons pas comment nous réagirions face à des menaces de mort violente. Je suis sûr que tous ces religieux et universitaires chrétiens sont parfaitement conscients du type de situations dans lesquelles il faut se trouver pour être face à un tel dilemme, et je pense que certains ont opté pour “le moindre mal”.
La question néanmoins est de savoir comment agir envers ceux qui n’ont pas choisi le martyre. Les chrétiens considéraient le martyre comme un cadeau. Si tel est le cas, c’est un cadeau qui n’est pas donné à tous. Renier sa foi est très sérieux. Dans les Évangiles, Jésus dit à plusieurs reprises renier ceux qui L’ont renié. Mais il dit aussi à Pierre qu’il doit pardonner 77 fois. Je ne crois pas que Jésus ait placé la barre plus haut pour les humains que pour Dieu.