Pour le Cheikh Mohamad Nokkari, juge sunnite libanais, l’appel du CFCM lancé dans les mosquées ce vendredi ne va pas assez loin. Étendre le Concordat à l’ensemble du territoire est une nécessité.Cheikh Mohamad Nokkari est à l’initiative de l’instauration de l’Annonciation comme jour férié interreligieux au Liban. Musulman sunnite très investi dans le dialogue interreligieux depuis plusieurs années au Liban, ce juge et professeur de droit à Beyrouth, Dubaï et Strasbourg a également été directeur général de Dar El Fatwa, le principal organisme de la Direction des affaires religieuses sunnites au Liban. Dans les années 2000, il a activement participé à l’instauration de la Solennité de l’Annonciation comme fête nationale islamo-chrétienne chômée au Liban.
Alors qu’une proposition de prêche pour la prière de vendredi 20 novembre a été transmise aux imams et aux responsables des mosquées en France par Anouar Kbibech, président du Conseil français pour le culte musulman (CFCM), le cheikh Nokkari analyse pour Aleteia le contenu et la portée de ce texte.
Aleteia : Quel regard portez-vous sur le message du CFCM qui a appelé à le lire dans toutes les mosquées de France ce vendredi 20 novembre ?
Cheikh Mohamad Nokkari : Je pense qu’ils sont sincères mais ce n’est pas assez, il faut aller plus loin ! Il est urgent de fermer tous les instituts salafistes présents en France ainsi que les mosquées abritant leurs partisans. Nous devons faire pression sur les pays qui abritent ces universités et interdire aux Européens de s’y rendre. D’un côté nous combattons le terrorisme, mais de l’autre les jeunes sont influencés par leurs enseignements. Que seuls les imams diplômés de certaines universités soient autorisés à prêcher dans les mosquées de France !
L’État français doit dissoudre les organismes musulmans de France et les rassembler en un seul et unique organe religieux et nommer à sa tête quelqu’un de reconnu. Le Concordat qui a cours encore en Alsace et en Lorraine doit être étendu à l’ensemble du territoire. L’État doit intervenir et imposer ses structures car l’islam de France est trop divisé et ne peut plus s’organiser. Les musulmans de France peuvent accepter cela car c’est dans la mentalité musulmane que l’État puisse intervenir dans la sphère religieuse. Cela sera possible si l’État nomme quelqu’un de très ouvert et ayant fait de solides études religieuses.
Cela a déjà été le cas au Liban à l’époque du mandat français par exemple, mais j’invite les ambassadeurs français de tous les pays arabes à convier les chefs religieux de chacun de ces territoires afin de créer une sorte d’assemblée des sages et de discuter et réfléchir ensemble. Beaucoup de musulmans français sont bi-nationaux, cette parole comptera pour eux.
Le texte du CFCM fait référence à des prophéties coraniques évoquant la fin des temps, soulignant l’actualité de celles-ci. Quel crédit le monde musulman modéré accorde-t-il à ces textes ?
On parle en effet beaucoup de ces prophéties dans le monde musulman. Ils ne sont pas l’apanage des islamistes ! Ces textes sont authentiques et sont en train de s’accomplir actuellement.
Al Hâfidh Na’îm Ibnou Hammâd, un des maîtres d’Alboukhârî, rapporte que ´Alî Ibn Abî Tâlib dit :
“Quand vous verrez des drapeaux noirs, ne bougez pas de votre place, ne déplacez pas vos mains ni vos pieds. Après, apparaîtra une communauté d’immatures, à qui on n’accorde aucune importance. Leurs cœurs sont comme des morceaux de métal. Ils se présentent comme les représentants de l’État. Ils n’acceptent ni discussion ni alliance. Ils appellent à la vérité, mais ne sont pas eux-mêmes des gens de vérité. Leurs prénoms sont des prénoms d’emprunt et leurs noms se rapportent à des villages (ou des villes). Leurs cheveux sont longs et lâchés comme ceux des femmes. Ils sont proches les uns des autres, jusqu’au moment où naîtront des conflits internes parmi eux. Ensuite, Allah donnera la vérité à qui Il voudra.”
Le drapeau noir, les cheveux longs, les noms de villes ou de pays en l’occurence (“Al-Françaoui” par exemple)… Tout est là. Et ce ne sont pas eux qui instrumentaliseraient ces références volontairement car ces prophéties les condamnent eux-mêmes. Ils accomplissent des textes qui ne leur sont pas favorables. Des groupuscules violents existent depuis les premiers temps de l’islam. Depuis 1 400 ans, des sectes violentes sèment la terreur au nom du Coran. Les groupuscules actuels ne sont que des réminiscences de ces mouvements en train de renaître. Et leurs pires ennemis sont les musulmans qui ne pensent pas comme eux.
L’appel du CFCM fait aussi référence à la nécessité de prendre du recul sur certains passages du Coran. N’est-ce pas à contre-courant de l’idée répandue selon laquelle aucune interprétation ne peut être faite de la Parole divine dans l’islam ?
Il faut arrêter avec les versets “abrogeants” et “abrogés”… Dieu ne change pas d’avis ! La majorité des musulmans ne croit d’ailleurs pas à cela. Il faut donner la parole à ces personnes qui ne soutiennent pas ce principe. La Parole de Dieu ne change pas. Les versets écrits pendant la période médinoise, virulents à l’égard des Mecquois, sont à remettre dans leur contexte. Maintenant, le Daesh utilise ces versets adressés aux habitants de La Mecque contre les musulmans contemporains. Une remise en contexte est indispensable ! On n’abroge pas la Parole de Dieu mais chaque verset a son contexte et on ne peut pas les étendre à la période actuelle.
Propos recueillis par Mathilde Rambaud