Entre les mesures qu’exige la gravité des attentats et la tactique politique, l’opposition peine à se prononcer face à la proposition du président de la République de réformer la Constitution.Un piège à la sauce hollandaise ? La proposition surprise faite par François Hollande le 16 novembre embarrasse la droite. Dans son discours devant le Congrès réuni à Versailles trois jours après les attentats, François Hollande a exprimé son souhait de faire évoluer la Constitution afin de “permettre aux pouvoirs publics d’agir conformément à l’État de droit contre le terrorisme de guerre”.
Selon le chef de l’État, l’article 16, qui régit les conditions d’attribution des pouvoirs exceptionnels au président, et l’article 36, qui porte sur l’état de siège, ne sont “pas adaptés à la situation que nous rencontrons”. Cette révision de la Constitution s’inspire notamment du comité Balladur de 2007 qui proposait d’y inscrire l’état d’urgence. Elle doit recueillir la majorité des 3/5 des deux chambres du Parlement réunies en Congrès, ce qui requiert de fait l’accord de l’opposition.
Vous avez dit “unité nationale” ?
“Le chef de l’État a (…) coupé l’herbe sous le pied de l’opposition en reprenant à son compte nombre de leurs propositions en matière de sécurité”, constate le JDD. Dès le lendemain (mardi 17) le Premier ministre Manuel Valls enfonçait le clou sur France Info en assurant benoîtement “faire confiance à l’opposition pour agir avec esprit de responsabilité” sans imaginer “un seul instant” que “des logiques politiciennes l’emportent”. Quelques heures plus tard, l’unité nationale se brisait à la Chambre des députés : “Les députés Républicains ont conspué le gouvernement, la gouvernement a mis en cause la politique de la droite, les ténors ont poussé des coudes pour prendre la parole à deux semaines des élections régionales” (Le Figaro).
L’opposition de gauche n’est pas en reste : sortant de cette séance de débats houleux à l’Assemblée nationale, Noël Mamère, député écologiste, déclarait : “Il me semble que (…) la révision constitutionnelle n’est rien d’autre qu’un ‘Patriot Act’ à la française. Je pense qu’il y a là beaucoup de tactique politicienne de la part du président de la République” (BFMTV).
Le fait est que l’annonce surprise du chef de l’Etat a “ouvert une brèche au sein de l’opposition”, constate La Voix du Nord : alors que le patron des députés LR, Christian Jacob, affirmait aussitôt que son groupe était “unanime” à juger inutile la révision de la Constitution, son collègue Philippe Bas, président Les Républicains de la commission des lois de la Haute assemblée, attendait de voir : “Nous ne savons pas exactement quel est le contenu du texte. S’il y a des obstacles constitutionnels à la lutte contre le terrorisme, je suis prêt à les lever. Mais c’est la première fois que je l’entends dire”. Nicolas Sarkozy concédait dès le lendemain qu’il n’y était “pas opposé” par principe tout en se disant “prudent” (Public Sénat).
Nicolas Sarkozy a précisé sa position dans un entretien au Monde, ce 18 novembre : “Sur le principe, je ne suis pas contre une réforme constitutionnelle mais tout dépendra de ce qu’il y aura dedans. Nous regarderons son contenu avec pragmatisme. Si cela permet de renforcer la sécurité immédiate des Français, nous la soutiendrons. Si c’est seulement pour organiser un débat juridique, cela n’aurait pas de sens car les Français réclament des décisions immédiates”.
Dans la foulée, l’ancien chef de l’État a contre-attaqué en accusant François Hollande d’avoir perdu “trop de temps” depuis les attentats de janvier. Mais Alain Juppé, son grand rival au sein du parti LR, se démarquait dans Le Figaro : “Il y a sans doute eu des retards, mais gardons-nous de faire croire que tout allait bien avant 2012 et que rien ne va plus depuis 2012. Nous ne sommes pas non plus blanc-bleu”. Ce qui ne l’empêche pas d’estimer comme d’autres à droite “sans doute suffisants” les moyens juridiques actuels de lutte contre le terrorisme.
“La réponse n’est pas dans la Constitution, elle est dans l’action”
Pour l’économiste Jean-Yves Archer (Les Échos), “le chef de l’État a mélangé communication de crise et respect dû aux institutions” car “ce n’est pas au président de la République d’informer le Congrès au plan constitutionnel. Pas plus que de déclarer la guerre à un “État islamique” qui n’est pas juridiquement élevé au rang d’État par ceux qu’il agresse”, mais au Parlement selon l’article 35 de la Constitution.
Pour Guillaume Drago, professeur de droit public à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), modifier la Constitution ne serait pas la bonne réponse face aux attentats djihadistes car la France dispose actuellement de plusieurs régimes d’exception destinés à faire face à des menaces exceptionnelles, avec une gradation dans la réponse, tout en maintenant nos libertés essentielles. L’état d’urgence, notamment, prévoit des mesures de contrôle, de perquisition, d’assignation à résidence qui seront complétées et renforcées par la loi qui devrait être votée très prochainement pour le proroger. En revanche, pour ce juriste, “inscrire dans la Constitution l’état d’urgence et légitimer ainsi au plus haut niveau juridique ce régime qui doit rester d’exception (…) n’est pas utile dans l’instant ni dans la durée parce que ce régime législatif peut comporter toutes les garanties des Libertés et les pouvoirs d’action dont les pouvoirs publics ont besoin. C’est à ce niveau qu’il faut agir et cela est suffisant”.
Et de conclure : “La réponse au terrorisme n’est pas dans la Constitution, elle est dans l’action déterminée, au niveau national et international. C’est ce que les Français attendent de l’exécutif” (Le Figarovox).