Dans son dernier livre “Face à l’idole argent, la révolution du pape François”, le journaliste fait le constat d’une victoire de l’argent dans nos sociétés, contre laquelle le Pape part en guerre. Patrice de Plunkett, journaliste et essayiste français, a travaillé au Figaro Magazine. Depuis 2011 il est chroniqueur à Radio Notre-Dame et l’auteur de plusieurs essais religieux, notamment sur le thème de l’écologie dans le christianisme dont L’écologie de la Bible à nos jours (L’Œuvre, 2008).
Dans son nouveau livre, Face à l’idole argent, la révolution du pape François, il dénonce l’argent qui “rase tout pour agglutiner l’humanité en un seul magma de consommateur” et raconte le combat du Pape contre le veau d’or, qui détruit non seulement la morale de nos sociétés mais aussi notre planète. Dans sa dernière encyclique Laudato si’, il appelle à une défense par les chrétiens de la “maison commune”.
Aleteia : Le pape François dénonce “la dictature de l’idole argent”. Quel lien faites-vous entre le déclin du religieux et l’ascension d’un capitalisme sauvage ?
Patrice de Plunkett : Tout d’abord, ce capitalisme est “sauvage” depuis les années 1980-1990, quand les gouvernements ont cessé de faire contrepoids à l’Argent (comme le pape le souligne dans Laudato Si’) ! Pour faire marchandise de tout, l’idole Argent exige qu’on lui livre tout : et pour cela, qu’on lui sacrifie les repères culturels et spirituels qui enracinaient et transcendaient la vie des hommes. L’idole libère ainsi (et exploite) toutes nos pulsions, même les pires… Or cet engrenage fonctionne en priorité contre le catholicisme. Observez la coïncidence des dates : l’animosité envers cette religion a ressuscité en France dans les années 1990, au moment où s’installait ce qu’on a appelé l’ultralibéralisme. Dans son sillage sont apparues les fameuses “nouvelles moeurs”. Elles ont révolté l’opinion catholique en France. Or, elles ne tombaient pas de la lune : interrogé sur ses raisons de soutenir le LGBT, le patron de la banque Goldman Sachs répondait : “It’s good business“. Les grands groupes français rivalisent à qui sera au tableau d’honneur LGBT-France. Au printemps 2015, quand le Sénat de l’Indiana a voté la liberté de conscience pour les commerçants chrétiens, les multinationales US ont menacé de ruiner cet État s’il ne retirait pas sa loi. Elles l’accusaient moins d’être “homophobe” que de freiner le”free market”… (L’affaire d’Indiana est racontée en détails dans mon livre).
Ensuite, ce “libéralisme totalitaire” rétrécit et aplatit l’horizon de la vie : comme le souligne aussi le pape dans Laudato Si’, il formate nos comportements. Il combat les critères de jugement éthique qui peuvent freiner la consommation en tous domaines : d’où son hostilité envers le catholicisme. Il donne une mentalité d’hyper-individualisme au consommateur et au salarié, et il enferme l’individu dans l’utilitaire, l’émotionnel, l’éphémère et l’instant présent. D’où une allergie au régulier, au durable, à l’engagement, à la gratuité… Cette allergie n’épargne pas les milieux catholiques : les moins motivés abandonnent la pratique, mais les “apparemment motivés” ne sont pas indemnes : nombre d’homélies sur la crise des vocations suggèrent un examen de conscience aux paroissiens qui n’imagineraient pas que leurs fils deviennent prêtres et non financiers ! Ce qui contamine le catholicisme français ne lui est pas réservé : c’est juste une version de la pollution mentale générale, qui sévit dans toute la société sous des formes diverses.
Vous écrivez “le libre-échange est aujourd’hui un dogme contre lequel il n’existe pas de droit au blasphème”.
J’écris ça au chapitre 2, en expliquant pourquoi le libre-échangisme, engrenage permanent de l’OMC, est l’une des causes de l’échec de toutes les grandes conférence climatiques internationales – et en quoi l’explosion des transports intercontinentaux depuis 2001 est l’un des facteurs du changement du climat… Quant à l’allusion au “droit au blasphème”, c’est une ironie qui vise la posture quasi-antireligieuse de notre classe politico-médiatique depuis les années 1990.
Ce dogme est d’ordre économique mais aussi moral. Quelles conséquences constatez-vous pour la famille traditionnelle et le comportement de la jeunesse ?
L’ultralibéralisme déstructure l’humain pour l’ajuster à l’économique. Il supprime les repères éthiques pour pouvoir tout commercialiser, par delà bien et mal. Il dissout les structures sociales pour ne plus voir que des individus. On en voit les conséquences pour la famille : les “réformes sociétales” en marche sont issues de cette idéologie économique… Sur le plan éducatif, les psychopédiatres constatent les effets nocifs de “l’obsession du style de vie consumériste”, comme dit le pape : un déréglement des pulsions, infusé par le marketing comme une addiction sans limites qui fait perdre le sens des réalités.
Dans votre livre vous décrivez un “nouvel homme qui n’est rivé à rien” et a perdu toute valeur autre que celle de la lutte pour la puissance économique (l’argent). Quel profil moral feriez-vous de ces homo economicus ?
C’est selon la position de l’individu dans le système. S’il est salarié-consommateur de base, il n’est que la cible d’un formatage. Sa responsabilité morale est donc faiblement engagée. En tant que salarié sa marge de liberté de choix est presque nulle. S’il est consommateur, il a quand même la possibilité de refuser un certain type d’achats addictifs (et superflus), ou de faire des choix selon des critères éthiques : à condition de s’informer sur l’origine des produits, ce qui devient un devoir moral à l’époque actuelle.
En revanche, si l’individu fait partie des leaders économiques et financiers, sa responsabilité morale est beaucoup plus grande : il peut éviter de “sacraliser” les “mécanismes du système économique dominant”, comme dit le pape François – et de faire ainsi partie de ces “dirigeants de l’économie” en la “bonté” desquels François nous invite à ne pas faire “une confiance grossière et naïve” (exhortation apostolique La joie de l’Evangile, § 54).
Le saccage de la planète est une conséquence de l’emballement du capitalisme sauvage. Dans sa dernière encyclique Laudato si’, François appelle à la défense de la “maison commune”. À la veille de la COP21, pensez-vous que son message puisse influencer la décision finale des chefs d’État ?
Je montre dans mon livre ce à quoi (notamment) le Pape invite l’humanité : faire pression sur les gouvernements pour qu’ils se ressaisissent du bien commun, qu’ils ont perdu de vue en abdiquant au profit de la finance il y a une trentaine d’années ! C’est l’un des volets de ce que j’appelle “la révolution du pape François” ; les autres volets concernent ce que nous pouvons tous faire autour de nous, sur tous les continents. Cette campagne du pape peut-elle influencer les États ? On peut craindre que non, quand on voit l’échec – programmé – des travaux préparatoires de la COP21. Je pense (et je développe cette idée dans le livre) que l’encyclique et sa “révolution culturelle courageuse” (§ 114) s’adressent aux peuples plus qu’aux “dirigeants”. Ses pistes de construction d’une véritable civilisation misent sur le génie propre à chaque nation. Elles nous appellent à mettre en oeuvre, dans chaque pays, ce que le discours du pape à Santa Cruz a présenté comme des “processus” : la naissance d’espaces économiques libérés de la tyrannie du casino financier global ; une économie de proximité et de sobriété, adaptée aux véritables besoins de l’homme et fondée sur le social et le solidaire…
Oui : ce que François propose est réellement, concrètement, une révolution.
Propos recueillis par Camille Tronc
Face à l’idole argent, la révolution du pape François de Patrice de Plunkett. Éditions Artège, 2015, 17,50 euros.
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