Aleteia : D’où vient votre intérêt pour saint Vincent de Paul ? Quelle est la spécificité de la biographie que vous lui consacrez ?
Marie-Joëlle Guillaume : J’ai été sensibilisée dès mon enfance à cette si attachante figure de l’Église. Mais c’est à travers ma passion pour le XVIIe siècle que je l’ai "revisitée". Cette biographie n’est pas une "vie de saint" au sens canonique, mais un livre d’Histoire. En allant aux sources, en m’appuyant sur sa correspondance, j’ai souhaité présenter saint Vincent de Paul dans ses liens avec cette période si contrastée : le temps de la Réforme catholique, mais aussi de la Guerre de trente ans puis de la Fronde…
Vincent de Paul est ordonné très jeune, à 19 ans. Certains contemporains parlent même d’arrivisme. Son entrée dans les ordres est-elle un simple calcul ?
Je réfute, dans mon livre, cette idée propagée au XXe siècle d’un calcul arriviste de Vincent. C’est un anachronisme. Le mariage comme l’entrée dans les ordres dépendaient étroitement, à l’époque, de la décision des familles. Enfant pieux et obéissant, Vincent a été ordonné trop jeune, comme beaucoup à l’époque (les décisions du Concile de Trente n’étant pas encore appliquées en France), mais rien ne permet de suspecter sa sincérité.
Vincent de Paul aurait été captif en Barbarie entre 1605 et 1607. Plusieurs historiens, à la suite du père Coste, pensent au contraire qu’il s’agit d’une invention et que Vincent aurait des choses à cacher. Comment vous situez-vous dans ce débat ?
Ce débat est né au XXe siècle, à la suite d’une série de fautes d’analyse et d’un défaut d’investigation historique, de la part de tous les protagonistes. J’ai repris le dossier à la base, en menant une véritable enquête policière dans l’ensemble des documents. Ma conclusion, solidement étayée, est très claire : oui, Vincent a bien été captif en Barbarie entre 1605 et 1607.
Vincent de Paul (1581-1660) est originaire d’un petit village des Landes. Quelles sont les rencontres qui lui ont permis d’avoir ensuite le rayonnement qui fut le sien ?
Il y en a eu de plusieurs ordres. Dès 1609, à Paris, il est aumônier de la reine Margot et il rencontre Bérulle, qui sera son directeur spirituel et l’introduira chez les Gondi. Il sera lié plus tard à toutes les grandes amitiés de la Réforme catholique, à commencer par François de Sales, rencontré en 1618. Mais c’est par le général des Galères et son épouse, M. et Mme de Gondi, que tout commence.
C’est chez les Gondi que Vincent réalise les premières Missions. Qu’est-ce exactement ? Quels sont les piliers de cette entreprise ?
Le 25 janvier 1617, alors que Vincent est précepteur chez les Gondi, des circonstances exceptionnelles l’amènent à prêcher dans l’église de Folleville en faveur de la confession. Les paysans sont si touchés que Vincent prend conscience de sa vraie vocation : l’évangélisation des campagnes et le service des pauvres. Un an plus tard, au retour de Châtillon-les-Dombes (Ain), il lance les premières Missions sur les terres des Gondi : prêches, catéchisme aux enfants, visites aux malades, confessions générales, etc. Chaque Mission est suivie de la fondation d’une confrérie de la Charité, prise en main par des femmes. Les piliers sont donc à la fois des prêtres et des laïques !
C’est avec Louise de Marillac qu’il fonde les Dames de la Charité, puis les Filles de la Charité. Quels sont les objectifs de ces organisations ? Comment fonctionnent-elles ?
Les Dames de la Charité sont fondées d’abord, en 1617 à Châtillon. Puis, Louise fait la connaissance de Vincent, en 1624, et anime avec lui toute une série de Charités. Issues de la noblesse et de la haute magistrature, les Dames font fonctionner ces confréries grâce aux subsides qu’elles récoltent et mettent la main à la pâte. La fondation de la Charité de l’Hôtel-Dieu de Paris (1634) va décupler leur rôle : secours aux pauvres et aux blessés de la guerre, aux enfants trouvés, aux malades, etc. Les Filles de la Charité, fondées en 1633, sont des filles de la campagne. Elles mènent une vie spirituelle de religieuses sous la houlette de Louise et de Vincent, tout en passant l’essentiel de leur temps à soigner toutes les formes de misère.
Vous dites avec humour que Vincent de Paul n’aurait sûrement pas été saint Vincent de Paul sans les femmes qui l’ont entouré. Quel est l’apport des femmes dans son œuvre ?
Immense. D’abord parce qu’elles avaient l’entregent nécessaire, mais aussi parce que l’époque regorge de femmes remarquables, et qui ont su s’engager. Mme de Gondi, puis Louise de Marillac, sont les premières. Mais la duchesse d’Aiguillon, nièce de Richelieu, fut une vraie « camarade de combat » pour Vincent. Il y eut aussi la présidente de Herse, Mesdames de Lamoignon mère et fille, Mlle Viole, Mlle Poulaillon, tant d’autres… Et il y eut la confiance d’Anne d’Autriche !
Si l’attention aux pauvres est au centre de son œuvre, Vincent de Paul est également un homme de son siècle, vivant aux heures de la Réforme. C’est à ce titre qu’il se sent également concerné par la formation des prêtres. Pouvez-vous nous en dire plus sur la Conférence des mardis ?
La Conférence des mardis, fondée par Vincent en 1633 dans la foulée de l’organisation des retraites aux ordinands – prêchées au prieuré de Saint-Lazare à Paris – a pour but d’entretenir et approfondir la formation des prêtres, dans l’amitié et la prière communes. La Conférence des mardis eut un rayonnement considérable. À la mort de Vincent, 22 évêques auront été choisis parmi ses membres. Bossuet, jeune prêtre, y fut formé…
Quelles sont ses principales qualités, est-il un bon gestionnaire ?
Son humilité, sa bonté, son abandon à la Providence sont bien connus. On sait moins qu’il avait un don pour le gouvernement des hommes (et des femmes !) et la gestion des choses… et qu’il l’a utilisé ! Saint Vincent de Paul pourrait être le saint patron de nos modernes DRH… D’une très grande rigueur personnelle, il ne supportait pas l’à-peu-près dans la gestion, mais il savait entraîner les autres. Il savait aussi rendre compte… aux Dames de la Charité !
Comment Vincent traverse t-il les crises de son siècle que sont le jansénisme et ensuite la Fronde (1648-1653) ?
La crise janséniste éclate en 1643 autour du livre d’Antoine Arnauld. Vincent est alors membre du Conseil de conscience d’Anne d’Autriche. Son amitié ancienne pour Saint-Cyran, proche de Jansénius, l’a conduit à prendre sa défense en 1639, après son arrestation par Richelieu. Mais Vincent a perçu le danger des idées jansénistes et il luttera de toute son intelligence, après la mort de Saint-Cyran, pour que Rome sache et se prononce. Il ne le fait pas en homme de parti, mais au service de la vérité, humblement.
Il avait un don pour le gouvernement des hommes (et des femmes !) et la gestion des choses… Il pourrait être le saint patron de nos modernes DRH…
Pendant la Fronde, outre le soin sans mesure donné aux pauvres par lui et les siens, Vincent prendra tous les risques pour tenter d’empêcher, par son influence au sommet du Royaume, le blocus de Paris en janvier 1649. Il s’efforcera ensuite d’œuvrer, jusqu’à la fin, au service de la paix civile. Ses initiatives appartiennent à l’Histoire.
Quels sont les héritages que nous devons à Saint Vincent de Paul ? Pouvons-nous tisser des liens entre lui et le pape François ? Les Filles de la Charité existent elles toujours ?
Il y a des héritages institutionnels : prêtres de la Mission et Filles de la Charité, essaimés dans le monde entier ; société de Saint-Vincent-de-Paul, fondée au XIXe siècle par Frédéric Ozanam ; Association internationale des Charités, héritière des Dames…
Le pape François aurait pu s’appeler Vincent !
En dehors de l’Église, l’œuvre des Enfants trouvés a été la matrice de l’assistance publique et l’assistance sociale organisée a pris appui sur l’exemple de Monsieur Vincent. Il nous a légué un état d’esprit, inséparable de l’image de la France.
Le pape François aurait pu s’appeler Vincent ! Son message au service des pauvres et d’une ‘écologie humaine intégrale’ rejoint en profondeur le souci constant de Vincent : ne jamais séparer, dans la charité, les besoins du corps et ceux de l’âme.
Vincent de Paul, un saint au Grand Siècle de Marie-Joëlle Guillaume, éditions Perrin, 25 euros.