Découvrez le destin extraordinaire d’Armin Wegner, le Juste parmi les Nations qui fut le témoin de deux génocides.L’Histoire engendre parfois de curieux destins. Cent ans après le massacre des Arméniens et 70 ans après la libération d’Auschwitz, découvrez l’histoire d’un homme qui fut le témoin de deux massacres d’innocents et qui eut le courage de faire des reproches à Hitler dès 1933 : Armin Theophil Wegner, militaire, écrivain et défenseur des droits de l’homme.
Né en 1886 dans une famille prussienne rigide, Armin est sensible aux arts et compose des poésies mais s’engage dans l’armée comme ambulancier pour prendre son indépendance.
Entre 1914 et 1915, en pleine Première guerre mondiale, le jeune lieutenant du Corps sanitaire allemand est envoyé au cœur de l’Empire Ottoman, allié de l’Allemagne, le long de la voie ferrée pour Bagdad entre la Syrie et la Mésopotamie. C’est là qu’il assiste aux marches de la mort des Arméniens, traînés dans le désert de pour mourir d’épuisement, condamnés par l’idéologie nationaliste du gouvernement des jeunes Turcs.
Découvrez, ci-dessous, des photos des archives Wegner. Les visages, fixés par l’objectif du photographe, nous parlent mieux de la souffrance d’un peuple que les photographies des morts.
Wegner ne parvient pas à fermer les yeux devant cette souffrance et devient le témoin de la première épuration ethnique documentée des temps modernes. Il désobéit quand on lui impose de taire les nouvelles des massacres, prend des notes et des documents des camps de déportation de Deir Ez-Zor, accepte de remettre les lettres des déportés. Il prend surtout des centaines de photographies : elles sont presque toutes confisquées mais quand les Allemands, à la demande des Turcs, le rappellent en Allemagne, il réussit à en ramener en Occident en cachant les négatifs dans sa ceinture. Il sauva ainsi une des preuves les plus importantes du génocide arménien.
Après la guerre, Wegner organise des conférences à Berlin et publie des textes racontant les atrocités commises contre les Arméniens. Il va jusqu’à adresser une lettre ouverte au président des États-Unis en 1919. Personne n’imaginait qu’il s’agissait là d’une répétition générale des génocides du XXe siècle.
Wegner ne reste pas indifférent face au nazisme et aux discriminations envers les juifs : en 1933, il écrit une lettre à Hitler dans laquelle il explique au chancelier que la persécution des juifs allemands va se retourner contre le pays.
Après la publication, il est arrêté par la Gestapo, emprisonné et torturé. Ce n’est pas la naïveté qui l’avait fait penser pouvoir convaincre Hitler de changer d’idée sur les juifs mais sa détermination et son sens profond de la justice.
Le 10 mai 1933, dans différentes villes allemandes, les nazis jettent au buché les livres des écrivains indésirables, parmi lesquels Wegner. Il est envoyé dans plusieurs camps de concentration. Après sa libération, il fuit à Rome où il vit jusqu’à sa mort en 1978.
Peut-on parler de Wegner comme d’un héros sans peur et sans reproche ? Il serait plus juste de le décrire comme un homme qui aimait profondément la vie et qui voyait comme un devoir de dénoncer les injustices car “celui qui fait du mal aux autres, fait du mal à soi-même”.
En 1967, Yad Vashem, le musée de l’Holocauste de Jérusalem a remis à Wegner le titre de “Juste parmi les Nations”. L’Arménie le décore de l’ordre de saint Grégoire l’Illuminateur et après sa mort, une partie de ses cendres est placée auprès de la flamme éternelle du mémorial du génocide arménien.
L’inscription sur la pierre tombale de Wegner reprend les mots attribués au pape Grégoire VII en 1085 : “Amavi iustitiam odi iniquitatem. Propterea morior in exsilio” : “J’ai aimé la justice et haï l’iniquité. C’est pour cela que je meurs en exil”.
Un legs toujours actuel face aux tragédies de notre époque.