William Mesguich interprète avec fougue le texte original du jeune Gustave Flaubert, mélange de récit autobiographique et de réflexions philosophiques. Flaubert n’a que 17 ans lorsqu’il écrit les Mémoires d’un fou, en 1838. Cette première œuvre littéraire, publiée à titre posthume en 1901, est pourtant déjà un ouvrage majeur dans la carrière de l’auteur. Le jeune Gustave y livre ses doutes et ses angoisses, mais aussi sa désillusion face à un monde corrompu par l’orgueil, la bêtise et la cupidité. Fort de la virtuosité de sa plume, il sait aussi qu’elle est coupable de son isolement et de l’incompréhension des autres.
“Je me vois assis, absorbé dans mes rêves d’avenir, pensant à ce que l’imagination d’un enfant peut rêver de plus sublime, tandis que le pédagogue se moquait de mes vers latins, que mes camarades me regardaient en ricanant”, écrit-il. Toute la curiosité du texte se situe dans la tension entre sa dimension rétrospective et la jeunesse de son auteur. Flaubert nous confie ses souvenirs, comme s’il était au crépuscule de sa vie, alors qu’il n’est pas encore adulte. Les Mémoires d’un fou sont la brillante alliance de la fraîcheur de l’écriture de jeunesse, et de la maturité de l’auteur.
Un William Mesguich enflammé
Seul sur scène pour interpréter cette habile adaptation, William Mesguich fait valser les mots. Chaque phrase a son importance, et le comédien sait honorer toute la poésie et l’exaltation de la langue flaubertienne. Il incarne à la fois la folie et la lucidité du jeune auteur. Il exprime avec sensibilité le désenchantement de Flaubert, et ses rêves d’idéal et de beauté.
Le décor rend toute l’atmosphère d’inquiétude et d’enivrement dans laquelle se trouve le romancier lorsqu’il pense et écrit. Son bureau littéralement envahi de feuilles de papier est celui d’un fou, mais d’un fou génial qui passe son temps à écrire, raturer, corriger, déchirer, recomposer.
Une réflexion sur l’écriture et le pouvoir des mots
Les Mémoires d’un fou nous montrent la genèse de l’écriture. Dans cet espace de création confiné, les sons et lumières de la mise en scène font résonner les mots dans l’esprit de l’auteur inspiré. On voit comment Flaubert fait naître puis évoluer Félicité, triste et soumise héroïne d’Un cœur simple, et combien il se délecte à composer la description du fameux perroquet de cette dernière.
Les doutes du jeune Gustave sont sans doute ce qu’il y a de plus touchant dans ce texte. “Écrire, c’est escamoter la vie”, se désespère-t-il. Le génie est né ; conscient de la puissance créatrice de l’écriture, il voit bien les limites du langage à restituer notre expérience. Il se réfugie dans des souvenirs et visions sublimes qui l’aident à s’échapper, ne serait-ce que quelques instants, de son perpétuel tourment.
Un beau spectacle, simple et exalté, qui nous fait goûter à l’admirable langue de Flaubert, et nous plonge dans son intimité. À voir pendant les vacances de la Toussaint !
Mémoires d’un fou de Gustave Flaubert au Théâtre de Poche, Paris 6e, jusqu’au 8 novembre.
Du mardi au samedi 19 h, dimanche 17 h 30.