Aleteia a rencontré des semenciers qui commercialisent leurs produits pour le plus grand bonheur des récoltants mais au mépris de la loi !Pour qu’une graine de blé puisse être vendue à un paysan, qui la sèmera, et en fera notre pain quotidien, il faut que la graine appartienne au “catalogue officiel”. C’est la loi, en France et en Europe. Le catalogue semble bien fourni avec 30 000 semences ouvertes au commerce. Mais malgré cette apparente abondance, la biodiversité agricole tend à diminuer dramatiquement, comme le révèle la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, créée en 2008 après le Grenelle de l’environnement. Elle édite un rapport consacré au blé tendre, qui démontre que sa diversité génétique s’est considérablement érodée.
“Perte d’agrodiversité”, c’est grave docteur ?
La mise en fonction du “catalogue” a rendu caduc le travail de sélection traditionnel, empirique et intuitif, réalisé par les agriculteurs eux-mêmes. Il a tout rationalisé. Établi dans les années 60, il a accompagné une hausse de la production des blés, mais aussi une diminution du nombre d’espèces cultivées. De plus, pendant que le nombre de variétés de plantes cultivées diminuait, la diversité génétique au sein des variétés s’érodait également.
Les méthodes de reproduction et de sélections tendent à faire des semences clonées. C’est très pratique pour l’industrialisation de l’agriculture : quand les individus font la même taille, il est plus facile de les récolter, par exemple. Mais cela aggrave dramatiquement les épidémies, à savoir qu’en présence d’une maladie ou d’un parasite tous les individus réagiront de la même façon. Si un individu ne résiste pas à un élément pathogène, tous ses congénères auront la même faiblesse. La maladie, ou le parasite, se développera à la vitesse d’un virus exploitant une faille informatique ! Il faudra donc pallier la faiblesse de ces plantes, par un emploi massif d’agents phytosanitaires peu ragoûtants.
Graines de résistance
Plusieurs entités comme Kokopelli ou le Réseau semences paysannes perpétuent la tradition de la culture ancienne, flirtant parfois avec la légalité. C’est ainsi que l’entreprise semencière Kokopelli a été condamnée à une amende de 17 000 euros en 2008, comme nous l’explique son avocate, Blanche Magarinos-Rey. “Cette condamnation a fait les gros titres des journaux, et le ministre de l’Écologie de l’époque, Nathalie Kosciusko-Morizet, avait émis l’idée de ne pas demander le recouvrement de l’amende”, se souvient Me Magarinos-Rey.
Pourtant, une partie de l’activité de Kokopelli était belle et bien illégale, puisque l’entreprise commercialisait des semences non inscrites au catalogue. Mais cette décision de justice fit les gros titres des journaux. L’administration française dut donc choisir entre appliquer une loi impopulaire ou reconnaître qu’elle n’était pas adaptée et remettre en cause tout le système du catalogue. Pris devant cette alternative, un fonctionnaire semble avoir trouvé un biais ingénieux. En fin de compte, la demande de recouvrement de l’amende est bien parvenue à Kokopelli, mais avec trois mois de retard sur le délai légal de quatre ans. Kokopelli était condamnée, mais ne payait pas l’amende, donc pas de vague… Mais le problème de la législation et du “catalogue” restait entier !
Un calibrage obligatoire
En effet, comme nous l’explique Me Magarinos-Rey, ce n’est pas par mauvaise volonté que Kokopelli n’inscrit pas au catalogue officiel la plupart des graines de semences “anciennes” qu’elle commercialise. Ces graines ne sont simplement pas adaptées à son règlement. Les graines brevetées dans le catalogue doivent présenter une certaine homogénéité génétique, incompatibles avec les graines anciennes qui ont parmi leurs caractéristiques une bien plus grande diversité !
Plus grave, dans le cas des grandes cultures comme la betterave, le maïs ou le blé, une nouvelle semence à inscrire au catalogue doit impérativement présenter des rendements supérieurs aux espèces existantes. On comprend, dans ces conditions que les graines anciennes aient des difficultés à obtenir le sésame. Et ce processus d’encadrement systématique participe activement à la perte de l’agrodiversité, tout en imposant une certaine vision de l’agriculture. Une vision dénoncée par Nicolas Supiot, grand défenseur des espèces de blés anciennes (Aleteia). Il voyait devant les pratiques de l’agro-industrie “un effroi devant la complexité et la beauté de la Création. […] On tente de la simplifier, de la réduire à notre échelle, mais en faisant cela on l’anéantit”.