L’appel du cardinal Bo, archevêque de Rangoon, contre les discriminations religieuses en Birmanie, se fait faiblement entendre dans un pays emmuré dans le silence.La Birmanie a été jusqu’en 2010 classée parmi les pays où la liberté d’expression est la plus menacée. Depuis cinq ans, le ministère de l’information ne relit plus les articles de presse avant qu’ils ne soient publiés, mais la parole libre a encore bien du mal à entrer dans les mœurs. Les conflits contre les ethnies minoritaires Shan et Karen se sont apaisés, mais la paix est encore fragile. La guérilla des Kachin, notamment, continue.
Une nation bouddhiste homogène
Mais quand une dictature faiblit, il n’y a pas que la parole des citoyens paisibles qui est libérée. Les bouddhistes nationalistes Ma Ba Tha, notamment, qui souhaitent une nation birmane homogène, ont déclenché, à partir de 2012, de violents affrontements contre l’ethnie des Rohingyas. Ils sont de confession musulmane et vivent dans l’état d’Arakan, à l’ouest du pays. Or, ces extrémistes semblent avoir des relais auprès du gouvernement, puisque durant l’été 2015 quatre lois ont été votées, sous le titre évocateur de “lois pour la protection de la race, de la religion et de la croyance”. Il s’agit de limiter les naissances dans “certaines régions du pays”, comprenez les régions à majorité musulmane, d’interdire la polygamie et la conversion à l’islam.
Le Ma Ba Tha va à l’encontre des enseignements de Bouddha
Le cardinal Bo attaque frontalement les tenants du Ma Ba Tha, en soulignant que pour “le seigneur Bouddha” la compassion s’étend à tous les êtres vivants, que la haine n’a pas sa place dans son enseignement. Bien que les chrétiens ne soient pas directement visés par ces lois, il rappelle contre le Ma Ba Tha l’un des enseignements de Bouddha : “Une injustice, où qu’elle soit est une injustice partout”.
“Il est temps de semer la paix”
L’archevêque de Rangoon, dans son appel, s’adresse directement au gouvernement pour l’enjoindre de renoncer à ces lois qui menacent la paix, alors que celle-ci redevenait possible après plus de cinquante ans de conflits. Il explique : “Ceux qui s’inquiètent des conversions religieuses et produisent une loi pour les prévenir auraient dû remarquer que la pauvreté est la religion commune de beaucoup dans notre peuple. […] Nous avons besoin d’une conversion pour les 30% de gens qui vivent sous le joug de la religion de la pauvreté ; 27% d’entre nous n’avons même pas de papiers d’identité”.
Il rappelle : “Ceux qui s’inquiètent de l’accroissement de la population feraient mieux de se soucier du statut des femmes et des enfants en Birmanie, quelles que soient leurs religions. La Birmanie détient le triste record de la plus haute mortalité infantile de la région”.
“La Birmanie est à la croisée de l’espoir et du désespoir”
Le cardinal suit, comme tous les Birmans, la campagne des élections législatives de novembre 2015 qui pourraient pour la première fois renverser l’assemblée, jusqu’alors verrouillée par les militaires. Il avertit : “La Birmanie ne peut pas prendre à nouveau la voie des conflits chroniques. Cinquante ans d’agonie suffisent. Il nous faut la paix. Il nous faut la réconciliation. Il nous faut nous identifier comme les citoyens confiants d’une nation d’espoir”.