De quoi sera fait l’avenir ? C’est la question que se posent Thomas Flichy de la Neuville et Gregor Mathias dans leur dernier ouvrage, “Le monde en 2030 : celui que la CIA n’imagine pas” (Giovanangeli Editeur).Constatant les erreurs des tentatives de prédictions américaines trop souvent basées sur l’idéologie, les deux auteurs se prêtent à leur tour à l’exercice, en rajoutant un élément crucial : la prise en compte de la réalité géopolitique. Les questions qui viennent à la lecture de leur ouvrage sont nombreuses. Conscients qu'"aucun avenir n’est écrit à l’avance", ils rappellent que bien gouverner, c’est prévoir, et si possible à long terme. Même si "l’avenir reste ouvert aux inflexions des minorités pensantes et agissantes".
1 – Pourquoi le monde nous surprendra-t-il ?
Aux États-Unis comme en Europe, la dictature de l’immédiateté, combinée à la préférence pour les analyses conceptuelles s’est traduite par une véritable panne de la prospective. Fondés presqu’exclusivement sur l’analyse statistique, les travaux d’anticipation se sont détournés des mutations politiques et culturelles à venir, comme si la prophétie libérale d’un monde pacifié par l’ouverture des frontières devait immanquablement se réaliser. Il faut toutefois être conscient que la plupart des civilisations en déclin sont marquées par une incapacité à prévoir les dangers qui les menacent.
Ainsi, lorsque le conquérant perse Shapour Ier entra dans la cité d’Antioche en 252 ap. J-C, il trouva les habitants insouciamment rassemblés dans le théâtre. Selon Ammien, l’acteur sur scène s’adressa soudainement à la foule en plein délassement, déclarant : "Est-ce un rêve ou vois-je les Perses en haut de ces gradins ?". Se retournant, les citoyens d’Antioche découvrirent stupéfaits les archers sassanides qui les criblèrent de flèches avant de mettre le feu à la ville. La sanction de la cécité intellectuelle est parfois douloureuse. Incapables de voir le monde comme il est, et n’imaginant leur chute qu’en rêve, les empires finissants accumulent les erreurs stratégiques. Combien plus difficile encore leur est-il de se projeter ne serait-ce que deux décennies en avant. D’ailleurs quelles études de prospectives ont, ne serait-ce qu’envisagé, la chute du mur de Berlin au milieu des années 1970 ?
2 – Quelles sont vos principales critiques envers Le monde en 2030 vu par la CIA ?
Ce rapport, dont l’expression-clé est le brouillard de la transition comporte trois erreurs d’appréciation majeures. La première erreur a trait à la projection de l’utopie démocratique sur le monde de 2030. Les Américains évoquent la perspective chimérique d’une réconciliation israélo-palestinienne, comme l’avènement de gouvernements modérés et démocratiques au Moyen-Orient. Le concept de démocratie islamique – par essence contradictoire – apparaît à plusieurs reprises, comme s’il s’agissait d’une évolution probable.
La seconde erreur a trait aux évolutions géoéconomiques probables : si le rapport insiste à juste titre sur le vieillissement de la population européenne et japonaise, il n’en tire à aucun moment les conséquences sur les potentialités créatrices de ces deux espaces géographiques. Or, l’âge moyen d’une population a une forte incidence sur sa capacité à innover.
La troisième erreur a pour objet l’évolution de l’islam. Ce sont ici, à l’évidence, les connivences entre les États-Unis et l’Arabie saoudite qui expliquent la fable distillée par le rapport 2030, au sujet du terrorisme islamique. Celui-ci est assimilé à un simple mouvement politique et promis comme tel à la dissolution à court terme.
3 – Quel diagnostic pour la France en 2030 ?
En 2030, la France se relève à peine d’un effondrement économique majeur. Différant éternellement la réforme de l’État afin de ne pas attenter à un confort devenu le dernier privilège des masses, des gouvernements mal élus à la légitimité populaire très faible ont longtemps préféré l’immobilisme aux réformes courageuses. L’implosion économique entraîne dans sa chute la part morte des élites composée de technocrates incapables de donner du sens à l’existence face aux effondrements successifs.
Les classes dirigeantes connaissent la même évolution que les corps des officiers au début de la guerre de 1914-1918 : celle d’une brusque recomposition. Les élites vivantes qui émergent du chaos rassemblent à la fois des Français issus de l’immigration, ayant pris des responsabilités malgré la crise durable d’identité occidentale qui rend leur intégration improbable, et la partie la plus créatrice des anciens dirigeants. Leur point commun est leur capacité à maîtriser la violence. Le chantier est d’autant plus important qu’en 2030, l’État failli est placé sous tutelle financière extérieure. L’État paléo-républicain s’est effondré, les mutations ethniques se sont accélérées sous le choc des migrations. Lire la suite sur Liberté politique