C’est par une recrudescence d’attentats sanglants que l'”État islamique”, ou “Califat”, a fêté son premier anniversaire. S’imposer par la terreur : une recette éprouvée par tous les totalitarismes.
Perpétrés un vendredi de ramadan, le 26 juin, les attentats de Tunisie (38 morts occidentaux), du Yémen (26 morts dans une mosquée chiite) et de France (un chef d’entreprise décapité) portent la marque de l’organisation État islamique (EI), même s’il ne les a pas tous revendiqués à l’occasion de son premier anniversaire (Aleteia).
Pour Mathieu Guidère, professeur d’islamologie à l’université de Toulouse, ces attentats sont liés : "Ils s’inscrivent dans ce que l’État islamique appelle le ‘mois de célébration’, qui fête son premier anniversaire. L’offensive du ramadan 2014 a en effet un an, le califat islamique a été proclamé le 30 juin 2014. Il y a deux semaines, l’EI a appelé ses gouverneurs à fêter cet anniversaire. (…) L’État islamique a une stratégie pensée, celle de créer un climat de terreur global. Il souhaite montrer aux gens qu’ils doivent avoir peur partout" (Le JDD).
Une ambition de domination universelle
Si l’organisation terroriste est apparue dès 2013 sous l’appellation "État islamique en Irak et au Levant", c’est fin juin 2014 qu’elle est devenue "l’État islamique" (Daesh) à l’ambition universelle. Les djihadistes combattant en Irak et en Syrie, l’ont présenté comme le rétablissement du califat, régime politique islamique disparu depuis près d’un siècle. Son chef, le "calife" Abou Bakr al-Baghdadi, a appelé tous les musulmans "à lui obéir" dans une vidéo diffusée le 5 juillet 2014.
Les possessions de l’EI s’étendent aujourd’hui sur un territoire grand comme le Royaume-Uni, à cheval entre la Syrie et l’Irak. Pendant un an, les djihadistes sont allés de victoire en victoire : prise de la ville syrienne de Raqa (janvier 2014) qui devient leur fief, puis de Mossoul, deuxième ville d’Irak, puis de territoires touchant le Kurdistan irakien autonome d’où la terreur chasse des milliers de chrétiens et de yézidis.
Le 8 août 2014, les États-Unis lancent leurs premières frappes contre les islamistes. Ceux-ci répliquent le 19 août en mettant en diffusant une vidéo mettant en scène l’égorgement du journaliste américain James Folley (Aleteia). D’autres otages occidentaux subiront le même sort et un pilote jordanien sera brûlé vif dans une cage ! Depuis, l’organisation État islamique a multiplié les décapitations et les lapidations dans les territoires qu’il a conquis. En un an, rien qu’en Syrie, "l’EI a exécuté plus de 3 000 personnes selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Parmi ces personnes figureraient près de 1 800 civils dont 74 enfants, selon l’ONG" (Huffington Post).
Pas de revers décisifs
Le vent a tourné début 2015. Le 26 janvier, après plus de quatre mois de violents combats menés par les forces kurdes avec le soutien des frappes de la coalition internationale, l’EI est chassé de Kobané, ville syrienne frontalière de la Turquie. En Irak, le 31 mars, le gouvernement annonce la "libération" de Tikrit, repris aux djihadistes par les forces de Bagdad soutenues par des milices chiites. Mais ces revers n’empêchent pas l’État islamique de conquérir Ramadi, capitale d’Al-Anbar, la plus grande province d’Irak, et de s’emparer de Palmyre, en Syrie, le 21 mai où il a multiplié les massacres (une nouvelle vidéo insoutenable, publiée le 4 juillet, montre des adolescents assassinant 25 soldats syriens dans l’amphithéâtre de la cité antique) et où il a commencé à détruire les vestiges antiques.
Le mois dernier a cependant été marqué par une série de défaites des islamistes en Syrie : le 16 juin les forces kurdes reprennent Tall Abyad, ville frontalière de la Turquie et point de transit des djihadistes qui perdent aussi, le 23 juin, Hassaké, une localité du nord syrien située sur une route stratégique. L’EI réplique les 25 et 26 juin par un raid sur Kobané au cours duquel plus de 200 civils sont exécutés, avant que les islamistes soient à nouveau chassés de la ville par les forces kurdes (27 juin) (
Aleteia). Mais l’État islamique a marqué des points sur d’autres terrains, en Libye, notamment, où ses djihadistes se sont emparés de la ville de Syrte, à l’est de Tripoli (Challenges).
L’organisation a également menacé, le 30 juin, "de supplanter le Hamas dans la bande de Gaza, accusant le mouvement palestinien de manquer de rigueur dans l’application des règles de l’islam", ainsi que le rival du Hamas, le Fatah, la faction nationaliste palestinienne qui gouverne en Cisjordanie (Le Monde). Par ailleurs, d’autres organisations islamistes telles que Boko Haram au Nigeria lui ont fait allégeance (Aleteia).
Là où il s’installe, l’auto-proclamé État islamique met en place une administration et installe sa police. Il vient même d’annoncer qu’il allait frapper sa propre monnaie. Si la population est principalement sunnite, elle peut s’accommoder de cette situation vécue comme une revanche sur le pouvoir détenu par les chiites (ou leurs alliés alaouites en Syrie) : "Les djihadistes manient ainsi la carotte et le bâton avec la population locale, la terrorisant avec des exécutions publiques brutales tout en lui offrant une relative stabilité et des services publics, selon Patrick Johnston, politologue au groupe d’analyse Rand Corporation" (Huffington Post).
Les bombardements de la coalition ont affaibli mais non pas terrassé l’État islamique. L’insuffisance des raids aériens est devenue une évidence ainsi que le double jeu de ces alliés douteux que sont la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar (trois pays essentiellement sunnites) (Aleteia). Les défaites récentes de Daesh face aux Kurdes, notamment, ne doivent pas faire illusion. L’étendue du territoire (en majorité désertique) dans lequel ses combattants peuvent se déplacer pour mener des raids plutôt que des batailles rangées, rend son éradication difficile. Et ses ressources financières ne sont pas près de se tarir : "L’EI est effectivement le groupe terroriste le plus riche au monde avec des revenus de près de deux millions de dollars par semaine, indique Patrick Johnston. Les frappes de la coalition sur les champs pétroliers pris par l’EI et la chute des prix du brut ont réduit ces gains, mais le groupe a trouvé des moyens de compenser. "Il extorque des fonds, collecte des impôts et vend des biens pillés lors de ses conquêtes", explique Johnston" (Huffington Post).
Une solution politique et une mobilisation spirituelle
Plus encore que la réplique militaire, c’est la solution politique qui fait défaut, estime Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) : "Bachar el-Assad est toujours au pouvoir et c’est une source de recrutement pour l’État islamique côté syrien. Et, côté irakien, le pouvoir de Bagdad n’a pas fait les concessions politiques que les sunnites attendent, ce qui fait que l’État islamique a, dans la partie Sud de l’Irak, une certaine popularité dans la mesure où il semble représenter l’intérêt des sunnites, alors que Bagdad est vu comme une sorte d’adversaire" (RTBF).
Mais la réponse décisive ne sera-t-elle pas spirituelle ? "Les choses arrivent tout d’abord dans les sphères spirituelles et, ensuite, se concrétisent sur cette terre", avertit le père Gabriele Amorth, exorciste du diocèse de Rome, pour qui "l’État islamique est Satan" (Aleteia). L’ange des ténèbres, "homicide depuis le commencement", n’inspire-t-il pas tous les totalitarismes ?