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OPINION. Loi sur le renseignement ou surveillance de masse ?

1984 Miniver

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Judikael Hirel - publié le 12/05/15
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Le projet de loi sur le renseignement a été largement approuvé à l’Assemblée en première lecture. Et maintenant ? Nos députés avaient-ils le droit de brader ainsi nos libertés ?
Sommes-nous bien en 2015 ou, d’une certaine façon, en 1984 ? Dans un pays où le simple fait de porter un sweat-shirt peut vous amener à être interpellé, qui sait ? Les députés français ont, sans surprise et au-delà des partis (à 438 voix pour,  86 contre et 42 abstentions), adopté le projet de loi sur le renseignement proposé par le gouvernement, le 5 mai dernier. Et maintenant ? La navette parlementaire suit son cours, et il doit être examiné par le sénat avant de passer, nécessairement, devant le Conseil constitutionnel. Car il faut appeler un chat un chat : le vote de ce texte est un recul fatal des libertés individuelles en France.

Légaliser des pratiques illégales

Pas de liberté aux ennemis de la liberté ? A ses amis non plus, en fait. On sait bien que le pouvoir, en France comme ailleurs, ne s’est que rarement gêné pour surveiller les citoyens, même à des fins personnelles, comme lors des écoutes diligentées en toute légalité par François Mitterrand pour protéger sa fille et sa double vie. Certes, des lois existent, mais les officines de renseignement d’état s’en affranchissent au point de reconnaître, sans fard, que la loi Renseignement aura notamment le mérite de donner un cadre légal… à  ce qui se faisait déjà. Mais avez-vous seulement lu ce que permet ce texte : une omni-surveillance d’Internet, des écoutes sans avoir besoin de l’aval d’un juge… Les formulations utilisées dans le texte sont tellement floues qu’elles permettent en fait tout, même le pire, sans même avoir besoin de tomber entre les mains d’un pouvoir totalitaire : un pouvoir "normal" suffira pour user, abuser de ce que permet ce texte, de piétiner votre vie privée.

Les royalistes surveillés d’office !

En effet, le projet de loi voté précise que la surveillance se justifie en cas d’atteinte à  "l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale" et dans un but de "prévention du terrorisme". Mais sont également cités dans le texte les "intérêts majeurs de la politique étrangère", la "prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions" et "la criminalité et de la délinquance organisées". Dit autrement,notamment, être royaliste suffira désormais pour justifier une mise sous surveillance :  le délit d’opinion n’est guère éloigné. Tous ceux, nombreux, qui ont subi la répression policière dans le cadre de la Manif pour tous, ou tenté plus récemment de porter à proximité de l’Elysée un sweet-shirt « Hollande, dégage » (ce qui n’est certes pas élégant, mais demeure légal) ont pu mesurer combien la liberté d’expression exprimée de façon pacifique ne faisait guère le poids face aux boucliers anti-émeutes.

Et demain ? Demain, ce texte permettra quoi qu’on en dise à l’Elysée et au Ministère de l’intérieur, sous le premier prétexte venu, de placer sous surveillance des militants, des opposants, comme jamais des pouvoirs totalitaires de jadis n’ont pu ou su le faire… Organiser un happening via Internet ? Accueillir un ministre avec des pancartes ? Tout ce qui a pu se mettre sur pied à la vitesse de l’éclair par des citoyens engagés et connectés, que l’on soit ou non d’accord avec eux, pourra demain être placé sous surveillance et sur écoute, combattu, tracé. Pour protéger la démocratie, bien sûr…. Et ce n’est pas la nouvelle autorité administrative indépendante, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), qui y pourra grand chose, tout comme l’actuelle Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS).

Quelques garde-fous

Certes la CNTR délivrera un avis avant toute opération de surveillance ciblée, sauf urgence absolue. Des cas d’urgence qui ne justifieront pas l’intrusion d’un domicile ni la surveillance d’un journaliste, d’un parlementaire ou d’un avocat. Si l’avis de la CNCTR ne sera pas contraignant, elle pourra toutefois saisir le Conseil d’Etat si elle estime que la loi n’est pas respectée, et disposera de pouvoirs d’enquête. Mais est-ce bien suffisant pour justifier un tel abandon des libertés indivuelles ? Rien n’est moins sûr. Quant aux "boîtes noires", destinées à surveiller le Net, il est triste de se dire que le PS, qui se présente comme « force de progrès » soit le parti qui ait, par ses textes, imposé une vision morale et moralisatrice de la république, et fait voter un tel recul de la démocratie réelle. On nous dit que le contenu des communications récolté dans cette « pêche au chalut » resterait « anonyme », que seules les métadonnées seraient transmises. Faut-il croire les services de renseignement sur parole ?
 

Un risque de surveillance de masse

Même les USA, experts en matière d’interception de masse mais secoués par le scandale Snowden et la découverte de l’étendue de la surveillance illégale mise en place à l’échelle planétaire, trouvent que la loi votée par la France, et portée par le prétexte et le contexte de la menace terroriste, va trop loin et vise trop large. Ce texte met en place une surveillance généralisée qui, tôt ou tard, sera utilisée à mauvais escient. C’est d’ailleurs ce que soulève Jean-Christophe Fromantin, qui fait partie des rares à avoir refusé de voter cette loi : "Bien qu’initiée avant les attentats de janvier, la loi sur le Renseignement aurait pu devenir une véritable loi contre le terrorisme, malheureusement ce n’est pas le cas. En ouvrant très largement le spectre des contrôles possibles avant de définir le ciblage des investigations, elle va bien au delà et touche directement le principe même des libertés publiques." "Son champ de surveillance met chacun d’entre nous en situation potentielle d’être mis sur écoute et nous expose au risque que soient analysées nos requêtes sur Internet en dehors de toute procédure judiciaire." On ne saurait être plus clair. "Avec un champ élargi par la loi, le risque de surveillance de masse est important d’autant plus que la durée de conservation des données pourra aller jusqu’à cinq ans, souligne également Virginie Duby-Muller . D’autre part, les outils mis en place seront inefficaces car faute de moyens techniques et humains, les services de renseignement ne pourront pas exploiter toutes les données collectées." Pour Jean-Frédéric Poisson, également opposé à ce texte, "la loi donne, en fait, la possibilité aux services de renseignement de placer sur écoute de très nombreux Français, très éloignés de toute forme de projet à caractère terroriste, dans un contexte qui ne préserve pas nos libertés individuelles fondamentales." "Les dénégations du Gouvernement sur la volonté de préserver ces libertés ne change rien : la formulation de l’article premier du projet de loi parle d’elle-même. Elle concerne potentiellement tout organisateur de manifestations, ou toute forme de délinquance commise à plusieurs. Tout ceci est notoirement excessif." Et tout ceci pose une question de fond : en élisant nos députés, les avons-nous vraiment autorisés à brader nos libertés ?

 

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