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OPINION. La parabole de la boîte noire

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Philippe Oswald - publié le 27/03/15
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Cet appareil enregistreur fracassé que l’on a néanmoins réussi à faire parler, résume à lui seul le grand paradoxe de notre époque : d’un côté la prouesse technique, de l’autre un déficit abyssal d’humanité.
Un avion remontait de Barcelone à Düsseldorf. A son bord, 144 passagers de quinze nationalités dont un bébé, des lycéens, et cinq membres d’équipage. Deux pilotes parfaitement formés, l’un chevronné, l’autre jeune mais déjà expert en pilotage, adepte du vol à voile, sportif. On connaît la suite…
On la connaît grâce à cette « boîte noire » suffisamment solide pour résister au fracassement de l’Airbus lancé à pleine vitesse contre la montagne. Et à la prouesse technique qui a permis de la rendre audible en quelques heures pour qu’elle révèle son terrible secret : la sortie du commandant de bord, le verrouillage de la porte du cockpit par le co-pilote, la lutte désespérée de son chef pour fracasser la porte …sécurisée, afin de reprendre les commandes, l’horreur des six dernières minutes de ce suicide criminel.

On a négligé le plus important
Ainsi se trouvent concentré dans cette boîte en piteux état l’un des grands paradoxes de notre époque : on a développé et raffiné à l’extrême la technologie mais on a négligé l’acteur le plus important : l’homme.
Le constat s’impose sans doute pour l’analyse des causes immédiates de cette catastrophe : «…les décideurs s’égarent parfois, lorsque dans l’interface homme-machine, ils privilégient outrancièrement les automatismes au détriment du rôle humain. (…). Quant à la composition d’équipage de deux ou trois membres, (…)s’il se résume à la seule justification par les charges de travail (…) c’est l’équipage à deux qui l’emporte (…). En revanche, s’il est fait état des fiabilités respectives, c’est l’équipage à trois le plus sûr » remarque Jacques Célérier, officier mécanicien navigant et pilote dans Liberté Politique.

« Tout homme et tout l’homme »
Mais la tragédie de l’A320 de Germanwings n’est-elle pas plus largement une parabole illustrant le principal problème de nos sociétés développées ? « Le développement ne se réduit pas à la simple croissance économique. Pour être authentique, il doit être intégral, c’est-à-dire promouvoir tout homme et tout l’homme » avertissait le pape Paul VI dans l’encyclique Populorum Progressio (1967).
Un demi-siècle plus tard, où en sommes-nous ?  Rien qu’en France, les suicides font chaque année 10 500 morts, trois fois plus que les accidents de la route…dont certains sont des suicides (cf. Santé.gouv). Le suicide est la première  cause de mortalité des 25-34 ans (20 % du total des décès dans cette tranche d’âge – celle à laquelle appartenait le co-pilote de l’Airbus, 27 ans). Que fait-on pour les prévenir ? Quasiment rien au regard de l’énergie déployée à juste titre dans les campagnes de prévention routière.
Quant aux suicides qui tournent comme celui du co-pilote de l’Airbus aux crimes de masse, s’ils restent heureusement exceptionnels, ils défraient de plus en plus souvent l’actualité, qu’il s’agisse de crashs aériens (cinq « suicides en vol » répertoriés en vingt-cinq ans cf. Valeurs Actuelles), d’accidents volontaires de voitures, de massacres commis par des « tireurs fous », ou d’ attentats-suicides (le plus spectaculaire et meurtrier -3000 morts- restant à ce jour les crashs de quatre avions de ligne sur les tours jumelles du World Trade Center et le Pentagone, le 11 septembre 2001).  

« Un tout petit morceau d’homme »
Combien de tragédies faudra-t-il encore pour que nos sociétés prennent conscience de leur grande misère éducative, morale, affective et des pathologies mentales qui en résultent ?  « Un jour, je vais faire quelque chose qui va changer tout le système, et tout le monde connaîtra mon nom et s’en souviendra » avait confié le jeune co-pilote à son ancienne compagne. 
« En vérité, le monde moderne a subi une dépression nerveuse, bien plus qu’une dépression morale » diagnostiquait il y a déjà un siècle Chesterton. Un autre écrivain anglais, converti lui aussi au catholicisme, le romancier Evelyn Waugh, mettait ce constat  dans la bouche de l’un des personnages de son célèbre roman « Brideshead Revisited », écrit pendant la seconde guerre mondiale : « Ce n’était pas du tout un être humain complet. C’était un morceau d’homme, qui s’était développé de façon anormale (…) mais il était parfaitement moderne et à la page, un homme tel que seule cette fichue époque peut en produire. Un tout petit morceau d’homme prétendant qu’il avait la plénitude de l’humanité. » *
Soixante-dix ans ont passé, mais il semble plus urgent que jamais de retrouver l’humble et patient apprentissage de « la plénitude de l’humanité ». 
 
*Julia : « He wasn’t a complete human being at all. He was a tiny bit of one, unnaturally developed (…) but he was something absolutely modern and up-to-date that only this ghastly age could produce. A tiny bit of a man pretending he was the whole. » Brideshead Revisited, Penguin Books, p.193  

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