« Bérézina » raconte, sous la plume de Sylvain Tesson, un road trip historique, de Moscou à Paris, en side-car, par là-même où sont passés les soldats de la Grande Armée de Napoléon.
Voilà encore une drôle d’idée de « l’agité du lac Baïkal », pour reprendre une formule de Luc Adrian. Après avoir marché sur les traces des évadés du Goulag, puis vécu seul dans une cabane sibérienne, Sylvain Tesson s’est dit qu’il allait mettre ses pas dans ceux d’un empereur cette fois. Avec deux comparses français, Cédric Gras et Thomas Goisque, il a dégotté l’engin qui lui semblait le plus idoine pour cette chevauchée : l’Oural, une survivante de l’industrie soviétique qui plafonne à 80 km/h et dont la tenue de route sur la glace s’apparente à celle d’une caisse à savon. « Elles sont issues d’un temps, écrit-il, où l’homme n’était pas l’esclave de l’électronique et où la sidérurgie régnait dans sa simplicité ».
Doux dingues
Thomas Goisque, photographe et ami de Sylvain Tesson, confie à Aleteia : « Rétrospectivement, c’était stupide et dangereux de rouler dans cette machine sur de la glace, avec une visibilité approximative et des camions qui nous dépassaient à 120 km/h ». L’homme en a vu d’autres, pourtant ce périple est loin d’avoir été une promenade de santé : « Vous comprenez, pour mes reportages en Afghanistan, j’avais un casque lourd ; je pouvais faire attention à ne pas trop m’exposer. Là, nous étions à la merci du conducteur qui n’a pas une très bonne vue ou qui fatigue ! ».
Mais Sylvain Tesson savait pouvoir compter sur son ami : « Il n’aurait pas déparé dans une tranchée du Soissonnais en 1914. Il est Picard, attaché à sa terre comme un soulier à la glaise… ». Pourtant ce terrien photographe, père de cinq enfants, partage l’excitation de l’écrivain, toujours en reportage : « Je ne sais rien faire d’autre », avoue-t-il. Les deux hommes sont devenus amis il y a 10 ans, au cours du pèlerinage, organisé par Tesson, sur les traces des évadés du Goulag. Marcher de concert en Sibérie, en Mongolie et au Tibet forge le caractère… et les amitiés !
Les Russes, francophiles malgré tout
Napoléon, qui a pourtant dévasté la campagne russe et osé prendre Moscou, conserve une aura paradoxale en Russie. Pendant leur voyage, les trois Français ont vu des toasts portés « à l’antéchrist Bonaparte, qui nous a rendus Russes ! ». Thomas Goisque explique : « La francophilie reste profondément ancrée dans la culture, malgré tout. Et cela ajoute à leur incompréhension face aux positions actuelles de la France au plan international. Ils pensent que nous nous sommes perdus ». Sylvain Tesson confesse, quant à lui, un amour des Russes trop peu partagé par ses concitoyens. À ses yeux, la presse française ne leur pardonne pas leur fierté et leur patriotisme, ni de plébisciter un président qui s’oppose à un tel point à l’hégémonie de l’OTAN.
Effroyable boucherie et plancher des vaches
L’expédition rocambolesque entre amis prend, au détour d’une route gelée, sa dimension tragique et historique ; les cavaliers français prennent alors conscience de l’ampleur du désastre qui s’est joué là, il y a 200 ans, sur la Bérézina. Un « haut lieu », un terrain qui « continue d’irradier l’écho des souffrances tues ou des gloires passées. […] Il y a eu ici une telle intensité de tragédie en un si court épisode que la géographie ne s’en est pas remise ».
Le retour jusqu’aux Invalides, à Paris, ne sera certainement qu’une étape dans la vie bien remplie de Sylvain Tesson. À quoi bon tout cela ? Il répondrait que le mouvement encourage la méditation et avance même sa propre théorie : « L’échauffement du corps produirait de l’énergie spirituelle et contribuerait au jaillissement des idées. Quand le corps se meut, l’esprit vagabonde, la pensée explore des recoins intouchés ».