« Tout commence par la laïcité », a dit François Hollande dans sa dernière conférence de presse. La laïcité, alpha et oméga de la France et de la République ? Historiquement, ça se discute, mais ça me donne une idée…
On l’a bien compris, le président de la République veut faire de la laïcité le fer de lance de la lutte « contre les intolérances » et le ciment de « la cohésion nationale ». Ce fut le leitmotiv de sa conférence de presse de jeudi dernier, bien discrète au demeurant sur la situation économique de la France et sur la courbe du chômage. « Tout commence par la laïcité », a proclamé François Hollande, en préambule d’une litanie quasi liturgique (on n’était pas loin du prologue de l’Évangile selon saint Jean) : « La laïcité n’est pas négociable car elle nous permet de vivre ensemble. Elle doit être comprise pour ce qu’elle est : la liberté de conscience et donc la liberté des religions. Ce sont des valeurs et des règles de droit qui consistent à protéger ce qui nous est commun mais aussi ce qui nous est singulier ».
Le baptême de Clovis
C’est l’École qui est chargée d’inculquer ce principe fondateur. Fondateur de quoi, au fait ? De la France ? Historiquement, la France n’a pas commencé avec la laïcité mais avec le baptême de Clovis, symboliquement prolongé pendant plus de 1 300 ans par les sacres des rois de France à Reims. Mais sans doute s’agissait-il, dans la pensée de François Hollande, du principe fondateur de la République. Cela mérite réflexion : est-il bien sûr que la République ait commencé par une laïcité synonyme de tolérance ? La prise de la Bastille, en représailles de la mort au combat d’une centaine d’assaillants, vit le massacre de 82 malheureux vétérans (dits « invalides ») et du gouverneur Delaunay égorgé et décapité par un boucher qui promena sa tête au bout d’une pique (Daech n’a rien inventé). Certes, l’épisode se déroule encore sous la monarchie, mais il est resté le symbole de la fin de l’Ancien Régime.
La messe du premier « 14 juillet »
Un an plus tard, la nation a voulu se réconcilier en célébrant pacifiquement et avec faste l’anniversaire de cet événement : la fête de la Fédération réunit au Champ-de-Mars 280 000 Parisiens et 100 000 fédérés en présence du roi et de la reine. Et que fit-on, au cœur de ce premier « 14 juillet » ? Talleyrand, évêque d’Autun, célébra la messe sur « l’autel de la patrie », entouré de 300 prêtres… La cérémonie qui se voulait fondatrice de la « cohésion nationale », fut résolument « citoyenne », mais pas vraiment « laïque ». Il est vrai que l’on était encore, formellement du moins mais plus vraiment dans les têtes, en monarchie.
Des flots de sang à l’accouchement de la Première République
La Première République, instaurée le 21 septembre 1792, fut l’enfant de la prise sanglante des Tuileries (600 Gardes suisses massacrés) et des massacres de septembre (1 500 morts à Paris, dont 3 évêques, 127 prêtres séculiers, 56 religieux et 5 laïcs arrêtés comme « ennemis de la Patrie » et « rebelles » à la Constitution civile du clergé). Voilà une fondation bien éloignée d’une laïcité synonyme, de « liberté de conscience » et de « liberté des religions ». On connaît la suite : la Terreur et les guerres de Vendée (entre 200 000 et 300 000 victimes).
Si l’Histoire leur était contée…
Ces quelques réserves historiques ne m’empêchent pas d’apprécier l’annonce faite par le président d’une laïcité vraiment respectueuse de la liberté de conscience et de religion comme socle de la cohésion nationale. Et puisque l’Éducation nationale a mission d’enseigner cette laïcité-là « tout au long de la scolarité », cela me donne une idée. Le moment me semble idéal pour établir enfin la vérité sur ces épisodes fondateurs de la République française. Non pas pour se complaire dans une délectation morose, mais pour faire passer le message : plus jamais ça !
Pour une repentance pédagogique
Comme la République se grandirait en reconnaissant ses crimes et en faisant repentance ! Et quelle pédagogie pour ces jeunes que séduisent les mirages de l’extrémisme, notamment islamique ! Voyez, expliquerait-on à nos écoliers, nous ne stigmatisons personne : les horreurs aujourd’hui perpétrées au nom de l’islam, la France les a connues sur son sol, il n’y a pas si longtemps. Les déportations, les massacres de masse, les décapitations, les viols, les femmes éventrées, les enfants embrochés, et jusqu’aux tanneries alimentées avec la peau des victimes… Toutes ces abominations furent perpétrées chez nous, dans notre douce France, au nom de la République une et indivisible.
Moralité : le fanatisme et le sadisme sont de tous les lieux, de toutes les époques, et s’affublent de n’importe quelles étiquettes, celles de la religion et celles de la contre-religion, pour se donner libre cours. C’est le cœur de l’homme qui est malade (que la potion laïque soit apte à le guérir, c’est une autre histoire… dont il faudra reparler).
Un regard critique sur les textes fondateurs
Ensuite, toujours à l’école, mais dans les classes supérieures, on examinerait les textes fondateurs des grandes religions, des constitutions, des régimes politiques… Par qui et comment sont-ils interprétés ? Que disent-ils de l’homme, de ses libertés, du bien commun, du « vivre ensemble », de la tolérance ? Voilà, me semble-t-il, un programme à la hauteur des défis aujourd’hui lancés à la nation, et vraiment digne de cette « refondation » de l’École que nous promet notre ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem. Alors, chiche, Monsieur le Président ?