Pour ne pas stigmatiser l’ensemble des musulmans après la semaine sanglante, Laurent Fabius préconise qu’on parle des « terroristes » en s’abstenant d’ajouter « islamistes ». Je ne trouve pas que ce soit une bonne idée.
Jusqu’où faut-il aller pour observer l’impératif vertueux du « pas d’amalgame » ? Dans la liste des exhortations gouvernementales à ne pas assimiler une poignée de fondamentalistes islamistes exaltés avec la majorité des musulmans de France et d’ailleurs, celle de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, a le mérite de la clarté : invité dimanche matin du Grand Rendez-vous Europe 1-iTélé-Le Monde, le ministre a carrément proposé de renoncer à qualifier les terroristes auxquels nous sommes confrontés.
Selon Laurent Fabius, « islamistes » est en trop : « terroristes » suffit. En effet, explique-t-il, « dès lors que vous utilisez le mot islam, vous favorisez une espèce de vision de continuité entre le musulman, qui pratique sa religion qui est une religion de paix, et puis quelque chose qui serait une certaine interprétation de la religion musulmane ».
C’est une idée chère à Laurent Fabius. Il l’avait déjà émise en septembre à l’Assemblée nationale en invitant tous ses collègues ministres et députés à se garder de l’expression « État islamique » pour lui préférer l’énigmatique mot « Daech » afin de ne pas mêler « l’islam, les islamistes et les musulmans » aux « égorgeurs de Daech ». Cette proposition simple, claire et nette, me laisse néanmoins perplexe.
L’islam est d’abord en guerre contre lui-même
Je m’étonne, pour commencer, que Laurent Fabius affirme comme allant de soi que l’islam est une « religion de paix ». On peut certes, fort heureusement, pratiquer l’islam paisiblement, mais cela n’en fait pas pour autant une religion de paix. Elle est souvent associée au symbole du sabre qui orne l’emblême du prétendu Etat islamique (ci-dessus) mais aussi le drapeau du pays de la Mecque, l’Arabie Saoudite. Ce n’est pas vraiment un message de paix. Le fait est que 80% des actes de terrorisme perpétrés aujourd’hui dans le monde le sont au nom de l’islam.
Le ministre des Affaires étrangères est bien placé pour savoir que l’islam est en guerre, et avant tout contre lui-même. C’est bien d’abord une guerre de religion entre sunnites et chiites (et leurs alliés alaouites) qui ensanglante le Moyen-Orient, en particulier la Syrie et l’Irak. L’Arabie saoudite, le Qatar, sans doute d’autres pays du Golfe, financent et arment les sunnites, tandis que l’Iran fait de même avec les chiites. C’est une impitoyable guerre de religion dont les minorités, chrétiens, yazidis, kurdes, alaouites, font les frais sans représenter pour autant l’ennemi principal des deux parties. Ils en sont les victimes collatérales.
Les « purs et durs » veulent éliminer les « modérés »
Cette guerre de religion frappe aussi à l’intérieur de chaque camp. Selon la machine infernale de tous les totalitarismes, bien connue depuis la Révolution française avec l’affrontement sans merci entre Jacobins et Girondins, puis dans la Révolution russe avec la lutte à mort entre Bolcheviks et Mencheviks, les « purs et durs » veulent éliminer les « modérés ». C’est particulièrement visible au sein de l’univers sunnite (auquel appartiennent 85% des musulmans du monde), au Nigéria, en Algérie, au Mali, en Libye, au Yemen et jusqu’au Pakistan, et d’ailleurs aussi en Irak et en Syrie où des tribus entières ont été exterminées parce que, quoique sunnites, elles refusaient de faire allégeance au prétendu État islamique en guerre contre la majorité chiite. Mais c’est vrai aussi entre les mouvements terroristes « État islamique », « Al-Qaïda » ou « Boko Haram », engagés dans une course à l’horreur, le plus « pur » étant celui qui se sera montré le plus féroce.
Cette guerre fratricide entre sunnites et chiites est vieille…comme l’islam ou presque, puisqu’elle remonte à la mort de Mahomet, en 632. Elle a pris un tour paroxystique quand la géopolitique contemporaine s’en est mêlée, avec la mise à feu et à sang que fut le démantèlement de l’Irak (merci, M. Bush !).
Le profond malaise de l’islam
Mais même si ce cataclysme avait été évité, le profond malaise de l’islam confronté au monde moderne et au « village mondial » d’Internet, n’en aurait pas moins rendu la situation explosive. Qu’il s’agisse de la liberté de conscience et d’expression, de la liberté religieuse, de la condition féminine, du sort des minorités, de la justice coranique ou charia, des mutilations, lapidations et décapitations, le choc entre l’islam et la civilisation occidentale (elle-même profondément en crise) est d’une rare brutalité.
Il n’y pas que les attaques terroristes qui révulsent le monde et notamment l’Occident. Il y a aussi, entre autres exemples, l’iniquité permanente de la « loi anti-blasphème » dans un pays comme le Pakistan qui conduit une mère de famille chrétienne à croupir dans une cellule de condamné à mort, ou un jeune couple de chrétiens à être brûlés vifs par une population fanatisée. Même dans un pays musulman aussi modéré et développé que la Malaisie, l’interdiction faite aux chrétiens de nommer Dieu « Allah » n’est simplement plus tenable.
Désigner « l’infidèle » comme étant la source du mal, c’est désigner un bouc émissaire pour éviter d’affronter un autre « djihad » : le combat contre soi-même, contre ses pulsions de mort, et intellectuellement, se défausser de la nécessaire remise en question du fondamentalisme inhérent au Coran face au fossé qui se creuse entre l’islam et la modernité. Voilà ce qu’il faut parvenir à « gérer » dans nos banlieues et leurs mosquées financées par des États musulmans en guerre. Comment le faire si l’on prétend se battre contre un « terrorisme » anonyme ? Comment combattre une maladie si l’on refuse d’identifier l’agent pathogène ? Ce n’est pas avec des idées généreuses qu’on résout un problème, mais avec des idées justes.
« Ce mal de l’islamisme qui ronge la France »
Finalement, une des réponses les plus pertinentes à Laurent Fabius lui a été donnée quelques jours plus tôt par Dalil Boubakeur, recteur de la Grande mosquée de Paris, dans Famille Chrétienne : « Je ne suis pas le dernier à avoir dénoncé ce mal de l’islamisme qui ronge la France. J’ai répété à ceux qui voulaient bien l’entendre combien nos jeunes, dans les banlieues, étaient exposés à cette violence. Les islamistes n’ont cessé de prospérer sur leur malaise profond. J’ai martelé le fait que nombre d’imams autoproclamés tenaient des propos dangereux pour la République. Je n’ai jamais été vraiment entendu par les responsables politiques, quelle que soit leur couleur politique… Et maintenant, je me demande s’il n’est pas déjà trop tard… ».
Merci à Dalil Boubakeur et à tous les musulmans qui ne craignent pas de désigner le mal par son nom : « islamisme », en renvoyant les responsables politiques qui affichent aujourd’hui leur indignation, à leurs décennies d’inertie dans nos banlieues.