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Tolkien, le hobbit catholique

The Hobbit 3

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La sortie au cinéma du dernier volet de la trilogie du Hobbit est l’occasion de revenir sur la vie et l’œuvre du grand romancier catholique, John Ronald Reuel Tolkien.John Ronald Tolkien (1892-1973) a retrouvé un nouveau public grâce au réalisateur Peter Jackson. J’ai beaucoup aimé son adaptation de la trilogie du Seigneur des anneaux, même si les nombreuses scènes d’action escamotent un peu la métaphysique de la quête, très présente dans le livre. Le premier film de la nouvelle trilogie du Hobbit a aussi connu un grand succès de salle, comme le deuxième volet, La désolation de Smaug, en tête du box-office dès sa sortie.

Pourtant, Peter Jackson dénature le roman original en y insérant une figure féminine importante, Tauriel, l’elfe rebelle. Qu’importe si les fans de Tolkien crient à l’hérésie, le succès du film va continuer à gonfler les ventes de ce livre. Mais l’écran ne remplace pas l’écrit ; les supports sont trop différents. Pour goûter le souffle homérique de Tolkien, qui n’est pas sans rappeler les grandes épopées bibliques, mieux vaut la lecture patiente de l’œuvre.
 

L’influence des guerres

Tolkien a commencé à écrire des poèmes dans les années 1910. Il publie Le Hobbit en 1937 qui séduit la critique et le public. Il invente ces petits hobbits qui, comme lui, aiment la tranquillité et fumer la pipe. Dans ce roman, Bilbo le hobbit part à l’aventure avec Gandalf et treize nains pour récupérer un trésor gardé par le dragon Smaug. Il rencontrera le sinistre Gollum et trouvera un objet qui transformera la vie de plusieurs : l’anneau.

Douze années plus tard, Tolkien apporte une suite en publiant un roman plus sombre, Le Seigneur des anneaux. Ce classique, qui a donné le genre « fantasy », se prête à plusieurs interprétations. La « fantasy » n’est pas seulement le rêve et la féerie, c’est une manière de redécouvrir le réel sous l’angle de l’imaginaire.

Marqué par la Première Guerre mondiale, Tolkien invente des personnages de la Terre du Milieu qui illustrent bien cette phrase de Rimbaud : « Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes ». Par de multiples symboles empruntés aux mythologies, il décrit la tentation qui est à l’origine de tant de conflits : vouloir être comme des dieux, désirer le pouvoir à tout prix, dominer la terre. C’est ce que réclament les dictateurs, comme Saroumane et Sauron, figures de Satan ou des SS. Pour leur faire face, le plus humble de tous, Frodon le hobbit, que la Communauté de l’anneau va accompagner dans sa mission : détruire l’anneau de pouvoir dans le feu de la montagne du Destin.
 
Pour Tolkien, Le Seigneur des anneaux est un livre sur Dieu qui traite de questions religieuses comme la chute et la rédemption. On y retrouve les thèmes chers au catholicisme, sous le mode symbolique : présence mariale, la charte des béatitudes, le pardon, l’esprit d’enfance, la sainteté, l’éternité. Plus encore que Bilbo le hobbit, Frodon est une figure christique qui perd son innocence en affrontant le Mal et en se sacrifiant pour les autres. Le romancier, probablement influencé par Thomas d’Aquin, décrit le Mal comme l’absence de bien.
 

Une œuvre religieuse

L’importance du catholicisme dans la vie et l’œuvre de Tolkien lui vient surtout de sa mère. Baptisé dans l’église anglicane en Afrique du Sud, il rentre en Angleterre avec sa mère et son frère à la mort de son père. Ils s’installent à Birmingham, ville où vécut Newman, béatifié en 2010 par Benoît XVI. La jeune famille se convertit au catholicisme. Ce sont des années de misère qui vont altérer la santé de la mère. Elle meurt alors que son fils est aux études. Son témoignage de foi va beaucoup marquer John. Il devient professeur de littérature à l’université d’Oxford et crée l’univers fabuleux de la Terre du Milieu. Ce père de quatre enfants sera un fervent catholique, son fils aîné deviendra prêtre. John se lève tôt pour assister chaque matin à la messe. Il regrettera d’ailleurs l’abandon du latin dans la messe suite au concile Vatican II. Il participera à la traduction de la Bible de Jérusalem en 1966.

John joue un rôle décisif dans la conversion à la foi chrétienne de C.S. Lewis, auteur des célèbres Chroniques de Narnia (Le monde de Narnia) œuvre allégorique pour enfants qui s’inspire aussi du christianisme. Les références chrétiennes dans l’œuvre de Tolkien ne sont pas aussi évidentes. Il crée un monde imaginaire, un conte pour tous, comme s’il voulait évangéliser l’imaginaire. Il écrit dans une lettre : « Le Seigneur des anneaux est bien entendu une œuvre fondamentalement religieuse et catholique ; de manière inconsciente dans un premier temps, puis de manière consciente lorsque je l’ai retravaillée. C’est pour cette raison que je n’ai pratiquement pas ajouté, ou que j’ai supprimé les références à ce qui s’approcherait d’une "religion", à des cultes et à des coutumes, dans ce monde imaginaire. Car l’élément religieux est absorbé dans l’histoire et dans le symbolisme » (Lettres n° 142).

Les vertus qui sous-tendent la quête dans l’œuvre de Tolkien sont les mêmes qui fondent la spiritualité chrétienne : la foi, l’espérance et l’amour. La mort et l’immortalité en sont les thèmes clefs. Gandalf le Blanc, tel un nouveau Moïse revenu du buisson ardent avec son bâton, saura bien guider les amis de Frodon et de Bilbo dans cette lutte de la lumière contre les ténèbres, de la miséricorde contre la vengeance. Leurs armes, plus efficaces que les épées, sont la loyauté, la responsabilité, l’amitié, le respect de la nature, la liberté de choix. Ainsi, lorsque Frodon s’épuise à batailler contre la s&eacu
te;duction de l’anneau, Sam l’encourage en lui disant qu’il y a du bon dans ce monde, et que ça vaut la peine de combattre pour cette compassion qui existe dans le cœur de plusieurs.
 

Le combat intérieur

Il n’y a pas de sens occulte à la mythologie tolkiénienne. Le romancier invite plutôt à discerner les ombres et les lumières qui existent en chacun. Ce combat intérieur se retrouve dans toutes les littératures, que saint Paul résume ainsi : « Je ne fais pas le bien que je veux et commets le mal que je ne veux pas » (Rm 7,15). Nous sommes créés libres, mais que faisons-nous de notre liberté ? Quel est notre désir ? Quelle est notre quête ? Voilà des questions vitales, toujours actuelles.

La saga du Seigneur des anneaux, commencée avec Bilbo dans Le Hobbit, répond à ces interrogations par cette vérité : nous nous créons sans cesse à partir des choix de vie ou de mort. Ces deux voies sont proposées par Dieu dans l’Ancien Testament : « Je te propose la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie » (Dt 30,19).

Nous n’avons pas à déserter notre humanité pour résister au mal et faire le bien. Le mal, n’est-ce pas tout ce qui nous tue, ce qui nous enferme dans l’autre en voulant le posséder ? Le bien, n’est-ce pas tout ce qui nous fait vivre, ce qui nous ouvre à nous-mêmes dans une juste relation à l’autre ? La question des relations humaines est au centre de l’œuvre de Tolkien. Nous prenons des chemins de vie en acceptant notre finitude humaine ou des chemins de mort en entrant dans la toute-puissance de la pensée magique.
 

La quête de l’Enfant-Dieu

Cette quête de soi-même, des autres et de Dieu n’est jamais terminée. L’important n’est pas de trouver, mais de continuer à chercher. Comme le chantait Jacques Brel, dans « L’Enfance » : « Mon père était un chercheur d’or, / L’ennui, c’est qu’il en a trouvé ». Mais plus on trouve Dieu, plus on le cherche, diront saint Augustin et Pascal. Exaltante quête qui débouche sur un azur d’espérance. Pas étonnant que Tolkien termine son œuvre par l’image sereine d’une enfant, écho lointain de la joie qu’apporte l’Évangile, la Bonne Nouvelle du Christ.

À Noël, les chrétiens célèbrent la venue de l’enfant, prophétisé par le poète Isaïe, repris par Haendel dans son Messie : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière, sur les habitants du sombre pays, une lumière a resplendi. Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné, il a reçu le pouvoir sur ses épaules et on lui a donné ce nom : Conseiller-merveilleux, Dieu-fort, Père-éternel, Prince-de-paix » (Is 9,1-5).

Les croyants voient en cet enfant, blotti dans les bras de Marie, le Dieu fait homme. Trop beau pour être vrai, diront certains ! Mais si Dieu est amour, tout est possible. Pour paraphraser Tolkien, le roi est de retour afin de nous libérer des ombres de la mort, non sur le Mordor, mais sur le Golgotha. Des rois mages venus d’Orient sont partis à sa rencontre, à la suite d’une étoile, annonçant ainsi un Nouveau Testament.

Tolkien a créé une œuvre épique qui suscite l’espérance et la joie. Mais ses livres sont à prendre au second degré, dira-t-il, contrairement à l’Évangile qui garde sa dimension historique sans perdre sa portée mythique. Tolkien trouvera toujours déplacé le culte que l’on vouera à sa trilogie. Le récit historique de la naissance du Christ est pour lui plus vrai, plus joyeux, plus emballant. La quête reste toujours actuelle, non pas celle de l’anneau magique, mais celle de l’Agneau de Dieu qui crée une nouvelle Alliance.

À une jeune fille qui lui demande comment il répondrait au devoir qu’elle doit rédiger sur le sujet : « Quel est le but de la vie ? », Tolkien, alors âgé de 77 ans, lui dit : « Connaître Dieu par tous les moyens dont nous disposons et en être transporté dans la louange et l’action de grâce » (Cité dans Feu et Lumière, décembre 2012, p. 6). Telle fut sa quête. « Maintenant loin en avant s’est poursuivie la Route ; / Que d’autres la suivent, qui le pourront ! » (Le Seigneur des anneaux, Le retour du roi).

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