Le premier ministre de la région autonome du Kurdistan irakien, Nechirvan Barzani, encourage les chrétiens à rester au Kurdistan « en attendant la défaite de l’ÉI ». Des paroles optimistes, qui tentent de rassurer des chrétiens terrifiés.
Nechirvan Barzani s’est récemment exprimé à Erbil devant une délégation de responsables catholiques engagés dans le soutien humanitaire des réfugiés ayant fui Mossoul et les villes de la plaine de Ninive : « Les chrétiens irakiens doivent résister à tout ce qui les pousse à quitter leur pays, ils devraient patiemment attendre la défaite de l’État Islamique, qui leur permettra de rentrer dans leurs foyers. » Ces paroles s’inscrivent dans la politique de l’oncle de Nechirvan, Massoud Barzani, président de la région autonome du Kurdistan irakien, qui se préoccupe de reconstruire « les composantes sociales de l’Irak ». Il craint que « l’agression des djihadistes ne crée des pulsions sectaires, détruisant toute possibilité de coexistence entre les peuples ».
Les Kurdes d’Irak, sous direction du PDK (Parti Démocratique du Kurdistan), n’affrontent pas actuellement l’État Islamique, contrairement à leurs compatriotes du PKK (Parti des travailleurs Kurdes), qui défendent désespérément la ville de Kobane. En revanche, ils tiennent leurs frontières et accueillent les réfugiés. Les deux communautés ont été malmenées par le passé par les majorités sunnite-irakiennes et chiite. Même si la situation des chrétiens sous Saddam Hussein était préférable à celle qu’ils connaissent actuellement, il ne faut pas pour autant imaginer une « vallée de roses ». Lors de la guerre Irak-Iran, notamment, les chrétiens étaient systématiquement envoyés en première ligne, et ceux qui réclamaient des droits pour leur communauté étaient arrêtés, torturés voire exécutés sommairement. Ce n’est qu’à la fin de la guerre Irak-Iran, en 1988, que leur situation s’est véritablement améliorée. Quant à la situation des Kurdes sous ce régime, elle est mieux connue : comme en Turquie, leur volonté d’indépendance a été réprimée avec une rare violence : utilisation d’armes chimiques, déportations de masse…
Mais cette solidarité, qui repose sur une histoire de trente ans, ne fait pas oublier le passé. Les chrétiens se souviennent notamment que, pendant le génocide « arménien » (qui a aussi concerné les Assyriens-chaldéens), les Kurdes ont épaulé le pouvoir ottoman. La méfiance demeure donc, et avec elle des rumeurs, comme l’infiltration de membres de l’État Islamique au Kurdistan. Certains chrétiens rapportent « avoir vu » des drapeaux noirs sur des maisons au Kurdistan, ces rumeurs ont probablement peu de fondements. Car les Kurdes, bien qu’ils soient sunnites comme les djihadistes de l’ÉI, n’ont aucun intérêt à rejoindre le « califat ». Leur vieux rêve d’une région autonome se réalise, et on les voit mal y renoncer pour tomber sous la coupe du « calife » Abu Bakr al-Baghdadi, qui est avant tout à leurs yeux un Bagdadi, un arabe sunnite. Mais ces rumeurs sont représentatives de la peur des chrétiens et expliquent les prises de paroles rassurantes des Barzani.