Pour le Père Cédric Burgun, “Robert Schuman a été cet homme prophétique, qui, à l’écoute du Christ, n’a pas eu peur d’aller à contre-courant”.Mon père, vous avez été désigné Président de l’Institut Saint Benoît. Cet institut soutient notamment le procès en béatification de Robert Schuman, le fondateur de l’Union européenne. Où en est actuellement le procès ?
Le procès en béatification est dans sa phase « romaine ». La phase diocésaine a été conclue il y a une dizaine d’années ; maintenant, le postulateur, le Père Bernard ARDURA, Président du Conseil Pontifical pour les Sciences Historiques, travaille en étroite avec le Vice-Postulateur, le Chanoine Joseph JOST, prêtre du diocèse de Metz, à la rédaction du document qui établira que le serviteur de Dieu Robert Schuman a vécu les vertus chrétiennes de manière héroïque. Ce document est très bien avancé, mais il n’est pas terminé. Une fois reçu et accepté par la Congrégation des Saints, et suite à ce document, le pape publie un décret qui donne au candidat à l’honneur des autels le titre de « vénérable ». En parallèle, une autre procédure doit être engagée : la reconnaissance canonique d’un miracle dû à l’intercession du futur bienheureux.
Les Français sont, pour beaucoup, blasés de la vie politique et certains d’entre-eux pourront trouver très audacieux de porter la béatification d’un homme politique. A plus forte raison quand il s’agit du fondateur de l’Union européenne à l’heure où celle-ci est très critiquée. Quel est selon vous l’enjeu d’une telle béatification ?
Pourquoi audacieux ? Canoniser un laïc engagé dans les affaires temporelles de la Cité n’est-il pas dans la droite ligne du Concile Vatican II ? Ce qui est audacieux, sans doute, c’est de béatifier le fondateur de la Communauté Européenne, à l’heure où celle-ci est plus que critiquée et en certains points, critiquables. L’enjeu d’une telle béatification est multiple. Tout d’abord montrer que la sainteté est possible pour les laïcs engagés dans le monde. Trop souvent, les chrétiens pensent que pour être saint, il faut être prêtre, religieux ou religieuse, ou, si l’on est laïc, avoir donné sa vie pour l’évangélisation du monde ou le service des plus pauvres à l’autre bout du monde. Robert Schuman a été un humble étudiant, avocat, puis député. Pendant la 2de guerre mondiale, refusant toute forme de collaboration, il s’est enfui et a dû se cacher dans des monastères, partageant la vie simple des moines qui l’accueillait. Il a été ensuite appeler aux plus hautes fonctions ministérielles : ministre des Finances, des Affaires étrangères, et même Président du Conseil (nous sommes sous la IVe République).
Un autre enjeu, me semble-t-il, est de « réhabiliter » la mission politique. Aujourd’hui, et pour causes, les hommes et les femmes politiques, en France, n’ont pas bonne presse. L’image qu’ils renvoient est désastreuse et décourage bon nombre de s’engager. Béatifier Robert Schuman montrerait deux choses : l’engagement d’un chrétien en politique est possible, et même nécessaire aujourd’hui encore ! Les chrétiens ne peuvent pas déserter ce terrain de l’engagement. Bien souvent, on me renvoie l’argument que c’est « dangereux » et qu’il y a trop de risque à corrompre sa conscience et la vérité.
Quel est l’engagement chrétien que ce soit en Europe ou dans le monde général ? Les chrétiens doivent regarder la société en face, telle qu’elle est et non pas telle que nous la rêverions. La grande tentation des chrétiens est de vivre repliés sur eux-mêmes et sur leur communauté ; et l’un des antidotes est de se confronter au monde, réellement, vraiment, efficacement. Bref, être « dans le monde, sans être du monde » (cf. Jn 17, 5-6). Il nous faut combattre, en nous, l’illusion du confort d’un monde convaincu.
F. HADJADJ nous met en garde contre deux illusions : celle d’un monde qui procurerait aux chrétiens le confort nécessaire pour l’annonce de la bonne nouvelle, ou alors, à l’opposé, un monde qui serait particulièrement résistant à cette annonce. Est-ce que le monde, l’Europe, est plus spécialement résistant à cette annonce, à cette action chrétienne, au message du christianisme, aujourd’hui plus qu’hier, à l’époque de Schuman ? La logique est simple : si le monde a besoin d’être sauvé, c’est qu’il est perdu au départ. Si je suis appelé à annoncer au monde cette bonne nouvelle, si je suis appelé à m’y engager, c’est qu’au départ, il en a besoin et qu’il court à sa perte. La miséricorde de Dieu révèle toujours notre misère et surtout mon incapacité à me sauver moi-même. Bref, ne nous étonnons pas de l’état du monde : il n’a pas encore reçu la bonne nouvelle ! Souvent, nous nous étonnons, nous nous offusquons de l’état du monde et nous le prenons comme prétexte de notre non-engagement … alors que ce doit être justement la cause première de notre engagement. L’état de l’Europe sera donc la condition première de notre engagement et non le prétexte de nos fuites ! Là est le témoignage de Schuman aussi : l’état de l’Europe, à son époque, était désastreux avec le risque avéré d’une troisième guerre mondiale. Comme chrétien, il s’est posé cette question : que puis-je faire pour améliorer, autant que faire se peut, le sort de mes frères en humanité ?