Avez-vous le temps de lire un billet inutile ? Si oui, poursuivez. Je suis un peu comme Romain : ce billet ne sera pas le dernier des billets risibles d’inutilité que j’aie pu écrire à propos des chrétiens d’orient. Ce sont les limites de l’écriture. A quoi sers-tu, avec tes petits tweets et tes billets ? A donner un dérisoire écho au cri de souffrance des chrétiens irakiens tout au fond de leur puits ? Echo misérable, loin, loin, si loin du petit cercle de lumière ? A quoi sers-tu ? A te réconforter en te disant que tu marques un peu de solidarité ? A te donner bonne conscience ? A avoir fait ta part – ça y est, tu as écrit ton billet, parfait ? Ou est-ce que mon écriture n’est pas méprisable ? A ce niveau d’indifférence et d’inaction, soit tu pars sur place soit tu fermes ta gueule. Je sais que certains vont partir bientôt. Mon cœur est avec eux. Et mon cul sur ma chaise.
Mais non, Koz, ça n’est pas inutile. Je sais ce que l’on peut me répondre, je me le dis moi-même. Bouger un peu le petit milieu du web, c’est mieux que ne rien faire. Laisser transparaître la solidarité, la peine, la prière, ce n’est pas rien pour un chrétien irakien qui verrait passer ces lignes. Je sais que Mgr Sakho nous demande juste, ou nous demande au moins, de leur permettre de ne pas se sentir oubliés. Et, en 2010, je quittais le parvis des droits de l’Homme avec cette phrase en tête : « nos frères qui souffrent en Irak ont besoin des images de votre solidarité ». Ils ont besoin des images de notre solidarité, oui. Ils ont besoin de ne pas crever, aussi.
Mais relayer leur cri du fond du puits, pourquoi ? Qui nous entend ? Un interlocuteur me rappelait récemment l’existence de « son homologue » au Quai d’Orsay, spécialement en charge des chrétiens d’orient. Non, la France ne les oublierait pas. Il relevait lui-même que le risque était que cela devienne la routine. La France a-t-elle encore une capacité de réaction sur le sujet ? Ou se borne-t-elle à émettre le communiqué de condamnation qui convient ?
Faire du bruit. On me répondait que l’usage solidaire de ce symbole, sorte d’étoile jaune mais rouge sang apposée sur les maisons des chrétiens à Mossoul[1], n’arrêterait pas l’EIL. Bien sûr. Nous sommes stupides mais avec un reliquat de lucidité. Non, faire du bruit, ne serait-ce que pour alerter nos propres responsables. Et en fait d’alerte, quoi ? Oui, le Quai d’Orsay a réagi, par la voix de Romain Nadal, son porte-parole. Il a même fait un tweet. Que demande le peuple ?! Que l’on dépasse le service minimum et l’indignation protocolaire. A-t-on entendu Laurent Fabius ? A-t-on entendu Manuel Valls ? A-t-on entendu François Hollande ? Quand Nicolas Sarkozy s’exprimait, j’avais le mauvais goût de m’interroger sur sa sincérité, mais au moins le faisait-il. Mais là…
Vous me direz qu’il y a une actu très chaude actuellement et que l’exécutif est occupé à autre chose. Mais ça ne devrait pas être le cas du Ministère des Affaires Etrangères ne serait-ce qu’au titre de notre engagement international séculaire. Je me souviens avoir lu que lors du génocide rwandais, les diplomates tournaient autour du pot pour ne surtout pas prononcer le mot « crime contre l’humanité« , parce qu’une fois prononcé, les pays seraient contraints d’agir. Eh bien ce mot a été prononcé. A l’ONU. Par le Secrétaire Général. Et en France ? On la moule. Fabius, Valls, Hollande, une déclaration un tant soit peu solennelle ? Non, rien.
Vous me direz que l’on bougera quand il y aura des massacres. On peut attendre, et on attendra ça. Vous êtes réalistes. Mais en partie seulement. Parce que les chrétiens irakiens, on les a déjà massacrés. Souvenez-vous en 2010, l’attentat contre la cathédrale de Bagdad. « Le sang du prêtre a été versé sur le sol de l’église. Il y a des morceaux de corps humain accrochés sur les étoiles qui ornent le plafond de l’église ». « Je pensais mourir aussi. Puis, l’un deux voyant que mon père n’était que blessé, il l’a achevé. Il tentait de protéger mon neveu de 3 ans sous son corps, ils ont pris l’enfant et lui ont tiré une balle dans la tête…« . En 2010, nous avions un peu frémi. Et nous nous étions trouvés des milliers dans la rue l’après-midi à répondre à l’appel à manifester. Mais le soir, pas même une seconde aux JT. Il faut dire que l’actu était chaude : sur France2, Laurent Delahousse interviewait Bruce Willis. Dans Le Monde, un éditorialiste qui, pour être un bon éditorialiste, devait nécessairement trouver un enjeu là où on ne l’attend pas, avait cette phrase ambigüe : « Que l’Occident s’indigne des attaques contre « ses » chrétiens après être resté indifférent aux Saint-Barthélemy irakiennes est bien la preuve de sa duplicité« .
Et c’est probablement au nom de cette ambiguïté et d’autres raisons encore moins avouables que notre gouvernement est aujourd’hui silencieux. Ne pas trop défendre les chrétiens, c’est pour leur bien. Et puis, en filigrane aussi, les chrétiens, qui sont assimilés à l’Occident là-bas, sont assimilés aux dominants ici par ceux que le marxisme contamine encore. Et enfin très certainement l’idée qu’on ne pourra pas les protéger là-bas et qu’il vaut mieux qu’ils en sortent. Alors on attend que ça se passe. Alors on valide l’apartheid, on valide l’épuration. Alors silence.
Voilà, j’ai fait mon billet. Les chrétiens vont disparaître d’Irak, morts ou exilés. Nous allons seulement soulager un peu leur fardeau. Quand ils auront disparu, je pourrai me dire que je n’en ai pas rien eu à foutre. Eux seront morts ou déportés. Et j’aurai la honte, la très grande honte d’être avec vous un enfant de ce siècle qui aura vu disparaître les chrétiens de Mossoul, l’antique Ninive, cette terre sur laquelle ils sont depuis dix-huit siècles. Dix-huit siècles traversés de guerres, de luttes, de vie, de rires, d’enfants, de foi.
Et puis nous.