En cet été secoué par une actualité particulièrement tragique, n’oublions pas l’essentiel : cette joie venue de Dieu jusqu’au milieu des angoisses et des épreuves, car rien ni personne ne pourra nous l’enlever.
Du blogue de Jacques Gauthier :
Le philosophe Sören Kierkegaard avait écrit : « Dieu n’a qu’une seule joie : communiquer… Il n’a qu’une passion : aimer et vouloir être aimé ». Est-ce aussi notre joie, notre passion ? Dieu n’est que joie et amour, et nous sommes créés à son image et à sa ressemblance, c’est pourquoi « la joie de notre cœur vient de lui » (Ps 33, 21).
Dans mon Petit dictionnaire de Dieu (Novalis), j’ai écrit ceci au mot « joie » : « La joie est assise au secret de mon silence. Elle s’installe et je me laisse envahir, impuissant à compter mes mérites. Vouloir la posséder, c’est la laisser faire. Plus elle se cache, plus elle m’appartient. Plus elle disparaît, plus je la connais. Cette joie est fragile comme tout ce qui commence ; une joie d’aube qui ne fait pas de bruit, une joie intérieure pleine de promesses, une joie mystique plus forte que la mort. « Joie, Joie, Joie, pleurs de joie », s’exclamait Pascal dans son Mémorial. La joie est déjà sur le chemin, non au bout de la route. Elle marche sans idée préfabriquée et sans lassitude. Je me repose en sa maison. Elle est plus communicative que le bonheur ; c’est la bonne odeur de l’amour. La joie est la couleur de Dieu qui m’embellit. « Tout ce qui est à moi est à toi » (Luc 15, 31) ».
La joie de la présence
Dieu nous attend au carrefour de nos désirs et de nos questions. Sa joie est déjà assise à notre table. Seule sa manière de se révéler change notre façon de voir.
La joie nous invite à la danse de la fidélité. Nous sommes créés pour cette noce de la rencontre avec Dieu où rires et larmes s’épousent au quotidien. C’est l’histoire de l’enfant prodigue, Marie Madeleine, Pierre, le bon larron, et tant d’autres. Croyons-nous que Dieu prend sa joie en nous et qu’il danse pour nous ?
« Pousse des cris de joie (… )! Réjouis-toi, tressaille d’allégresse (…)! Le Seigneur ton Dieu est en toi, c’est lui, le héros qui apporte le salut. Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour; il dansera pour toi avec des cris de joie, comme aux jours de fête » (Sophonie 3, 14, 17-18).
Il y a une joie à croire, à espérer, à aimer. Il y a une joie à suivre le Christ. Il y a une joie à regarder Marie, cause de notre joie. C’est « la joie de l’Évangile », d’après le titre de la première exhortation du pape François qui commence ainsi : « La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus ».
La joie donnée
La joie de Dieu ranime la braise de nos amours. Joie faite de rien, aiguisant nos sens spirituels. Joie qui nous repose, qui demande l’abandon à la présence, non à la passivité. Joie de chanter le ciel donné. « J'ai arrêté de compter les étoiles quand j'ai compris que le ciel ne m'appartenant pas, on ne pouvait donc pas me le dérober » (Dany Laferrière, L'art presque perdu de ne rien faire).
La joie est fille de l'Avent: on l'attend, on l'accueille. Il suffit d'être. Elle chasse les "ismes": le défaitisme, le négativisme, le relativisme. Le cœur voudrait tant exploser de joie, malgré les naufrages possibles.
Chaque joie frémit, parcelle d’amour pour l’amour unique. Qui chantera le chant de Dieu dans nos mots, nos joies, nos amours? Aurons-nous le courage de la trouver dans le plus démuni, le délaissé, l’exclu ? C’est d’abord pour eux que le Christ est venu
"Tu me fais connaître la route de la vie;
la joie abonde près de ta face,
à ta droite, les délices éternelles" (Psaume 16, 11).
L’envol de joie
Quelles que soient nos conceptions de la vie et nos impressions sur Dieu, nos échecs et nos réussites, la foi nous dit que Dieu est toujours là, qu’il est un élan de vie au cœur même de notre vie. C’est ce que Jésus est venu apporter : « Je suis venu pour que les hommes aient la vie, pour qu’ils l’aient en abondance » (Jean 10, 10). Le plus petit élan d’amour nous rapproche de lui. Cet élan de vie devient envol de joie. Le cardinal Ratzinger, avant de devenir Benoît XVI, en parlait ainsi au journaliste Peter Seewald : « Devenir croyant, c’est devenir léger, sortir de sa propre pesanteur qui nous tire vers le bas, et entrer ainsi dans le vol planant de la foi » (Le sel de la terre).
Dans son roman Le fou de l’île, Félix Leclerc imagine un homme qui échoue sur une île avec la marée. Il retient l’île par sa quête de l’invisible pour ne pas qu’elle parte à la dérive. Il injecte dans les veines de ses habitants « le tourment de la chose qui n’est pas de ce monde ». Le fou sème l’émoi en cherchant la chose qui vole ; ce peut être l’amour, l’amitié, la beauté, le silence, la mort. Chercher ce qui se cache au fond du cœur, sans trouver ce « petit bonheur » entrevu dans l’enfance, donne l’espérance d’user ses souliers, de continuer à chanter. L’homme va trouver hors de l’île l’ami précieux. « La joie m’habite parce que celui qui peut tout, le grand époux de toutes les recherches et de toutes les soifs, a daigné venir habiter en moi. Dieu est le seul ami. Le seul, crois-moi. »
Ce texte est paru dans Prière Appel d'aurore, été 2014, p. 5-7.