En ce jour où l’Eglise célèbre la solennité du Sacré-Cœur de Jésus, interrogeons-nous sur ce que signifie ce mot comme lieu, organe, source…27/06/2014
Le cœur est vu comme le symbole de l’amour, le lieu de notre être spirituel, le temple de Dieu. C’est une antenne très sensible qui a ses raisons, comme dirait Pascal, et qui nous fait entrer en relation avec la beauté, le monde, la souffrance, le mystère, l’Autre qu’on appelle Dieu.
L'éveil du cœur
Les sages et les mystiques nous préviennent; ce n’est pas aisé de revenir à ce «sixième sens», où nous entendons, voyons, touchons, goûtons, sentons autrement. «On ne voit bien qu’avec le coeur. L’essentiel est invisible pour les yeux», confiait le renard au Petit Prince. C’est comme si après avoir exploré tant de paysages nous arrivions toujours à ce lieu premier du coeur où tout commence. Sainte Édith Stein donne une définition lumineuse du coeur comme le lieu du fin fond de l’âme :
« Le cœur est proprement le centre de la vie. Nous désignons par là, bien sûr, l’organe aux battements duquel est liée la vie du corps, mais nous entendons aussi familièrement sous ce terme le fin fond de l’âme, manifestement parce que le cœur est au plus haut point intéressé à ce qui se vit au plus profond de l’âme, et parce que la connexion du corps et de l’âme n’est nulle part plus directement sensible » (La Puissance de la Croix).
John Milton écrit dans son Paradis Perdu, «Ce ne sont pas les lieux, c’est son cœur qu’on habite». Habiter ce lieu intime, c’est se trouver soi-même. Suivre cette boussole du coeur, c’est assister à la naissance de sa vocation, à la transformation de son visage intérieur.
Les sagesses orientales parlent d’éveil du coeur, de contact avec son être profond, son vrai «moi». Les religions monothéistes nomment ce contact une rencontre de Dieu. Les différentes traditions monastiques proposent des pistes qui mènent à cette voie de l’intériorité : lectio divina, méditation, oraison, liturgie, silence, travail manuel.
Cœur sacré de Jésus
Dieu a écrit sa loi d’amour dans nos cœurs mieux que sur des tables de pierre. Il nous a envoyé son Fils, le doux et humble de coeur qui recherche la brebis perdue (Luc 15, 3-7). De la plaie de son côté, notre prière prend chair. Saint Jean Eudes évoque le coeur de Jésus comme la source de toutes les grâces et le coeur de Marie comme celui qui est rempli par cette source. La cistercienne Gertrude de Helfta chante ce coeur de Jésus dans ses Exercices : «O Cœur très cher, je te prie d’absorber mon coeur tout entier en toi».
Profondeur du cœur de Jésus qui se révèle dans le secret de la blessure. L’Église naît de cette blessure de l’Agneau d’où jaillissent le sang et l’eau pour des noces éternelles. Son côté ouvert ne se refermera plus; il ouvre sur l’infini de l’amour, au-delà de ce que la souffrance pouvait montrer. Le témoignage de Catherine de Sienne est ici éloquent. Elle demande à Jésus dans ses Dialogues pourquoi il a voulu avoir le cœur ouvert puisqu’il était déjà mort, et lui de répondre :
« Parce que mon désir envers l’humaine génération était infini, et l’opération réelle de supporter douleurs et tourments était finie; et, par cette chose finie, je ne pouvais montrer tout l’amour dont je vous aimais, parce que mon amour était infini. C’est pourquoi j’ai voulu que vous voyiez le secret de mon cœur, en vous le montrant ouvert afin que vous voyiez que je vous aimais plus que ne pouvait le montrer la souffrance finie ».
Chacun porte en soi un cœur blessé qui le rend fragile et vulnérable. La blessure est différente de celle de l’autre, car nous n’avons pas eu la même enfance, la même famille, la même histoire. Cette blessure peut être le chemin que le Christ prend pour nous faire entrer dans la plaie de son côté et nous partager l’ivresse spirituelle, l’extatique transport. « Plus on se tourne vers Celui qui est désirable, plus la blessure grandit. Quelquefois, il arrive une telle suavité intérieure que l’homme, incapable de se contenir, ne sait que devenir et que faire. Il croit que personne n’a l’expérience de ce transport. C’est la joie proprement dite : il se demande s’il va mourir, la poitrine brisée. Mais le transport se contient tant que l’extatique est en présence d’un témoin ; car Dieu veille sur l’honneur de ses amis. C’est l’ivresse spirituelle, c’est la folie trois fois sublime. » (Jan van Ruysbroeck, Œuvres).
Texte tiré en partie de mon livre Expérience de la prière, Parole et Silence, p. 111-113.