Le Père Pizzaballa, custode de Terre Sainte, qui connaît bien le pape François, confie à Aleteia les attentes des chrétiens à quelques jours de cette visite historique. “Il ne doit pas y avoir d’espace pour la peur”, dit-il.
23/05/14
À quelques jours du voyage du Pape en Terre Sainte, Aleteia a recueilli les impressions du custode de Terre Sainte, le père Pierbattista Pizzaballa, sur l’impact que la venue de François pourrait exercer sur toutes les communautés présentes en Israël, de même que sur les récentes intimidations subies par les chrétiens.
Comment la communauté chrétienne locale se prépare-t-elle à l’arrivée du pape François ?
Père Pierbattista Pizzaballa : Elle se prépare à deux niveaux. Le premier, qui est sans doute le plus visible, est celui de la préparation technique, pratique, diplomatique, et des infrastructures. Tout cela exige toujours beaucoup d’efforts. Et sur ce point, je dois dire que la communauté chrétienne a été très active, même dans la contribution économique. Toutes les communautés ont organisé une collecte afin d’aider. L’autre aspect, certainement plus important, est celui de la prière, dans les paroisses, dans les groupes paroissiaux, au cours des messes, dans les communautés religieuses, en particulier les contemplatives. Une prière non seulement pour le succès de la visite, mais aussi pour qu’elle puisse apporter des bienfaits dans la vie de l’Église.
Le Pape, successeur de Pierre, se rend là où tout a commencé. Quel est le message pour l’Église universelle ?
Père Pizzaballa : Je pense que déjà le geste en lui-même, de retourner à Jérusalem, est important. Jérusalem, là où tout a commencé. Et il n’y aura pas que le pape à Jérusalem, il y aura aussi le patriarche de Constantinople, qui est le point de référence, le chef de l’Église orientale. Les deux poumons de l’Église, de l’Ouest et de l’Est, se rejoignent à Jérusalem, je pense que cela signifie beaucoup. Jérusalem nous rappelle aux origines, aux racines, à la beauté et à la pureté de l’Évangile et du christianisme, qui au cours des derniers siècles, a blessé et divisé. Le fait de tous retourner à Jérusalem signifie regarder avec nostalgie cette unité vers laquelle nous devons tous nous orienter, surtout en regardant Jésus comme la source et l’origine de notre foi.
C’est le deuxième pontife qui vous rencontrez depuis que vous êtes custode. Quelle impression gardez-vous de la rencontre avec Benoît XVI ? Et qu’attendez-vous de celle avec François ?
Père Pizzaballa : Ce sera ma troisième visite papale. J’ai reçu Benoît XVI en Terre Sainte et à Chypre, et maintenant François, à nouveau en Terre Sainte. Ce sont donc trois visites toutes très différentes les unes des autres. Connaître les papes de plus près permet de connaître un aspect de leur humanité qui n’est pas toujours connu. La sérénité, la disponibilité, la facilité du Pape Benoît m’a beaucoup frappé à Jérusalem, mais surtout à Chypre. Sa fragilité aussi, d’un point de vue humain, mais toujours vécue avec beaucoup de sérénité. Le pape François, que j’ai déjà rencontré et que je connaissais avant qu’il ne devienne pape, m’a toujours marqué par sa simplicité, sa franchise, et sa fiabilité. Il est très simple et très accessible, c’est également perceptible dans ses gestes qui sont maintenant connus de tous. C’est quelqu’un que jamais personne ne pourra mettre dans un moule car il est très libre, et il exprime cette liberté avec beaucoup de franchise et je pense que c’est positif pour toute l’Église.
Pourquoi François est-il si libre ? D’où lui vient cette liberté ?
Père Pizzaballa : Le pape François a la liberté en lui. Une liberté qui naît naturellement d’une sérénité humaine, mais aussi d’une relation avec Jésus, avec le Seigneur, qui est très forte et qui bâtit des certitudes, la foi, les relations. Tout le reste devient secondaire lorsque nos certitudes sont fortes. Rien d’autre ne peut prendre le dessus sur nous.
On a souvent parlé de relations diplomatiques entre le Vatican et le Moyen-Orient. Comment la visite pourra-t-elle contribuer positivement aux relations institutionnelles entre Israël et le Saint-Siège ? Quel est l’impact qu’elle peut avoir sur le processus de paix ?
Père Pizzaballa : Il est très difficile de répondre à cette question pour l’instant. Nous ne pourrons dresser de bilan qu’après la visite. Disons que le pape François n’est pas un diplomate. Nous parlions justement de sa liberté, et un diplomate ne peut pas toujours être libre comme l’est le pape François en public. Le sens et la nature de la visite sont principalement spirituels et pastoraux, avant d’être diplomatiques. Je crois néanmoins que la visite du pape sera un encouragement, pour la communauté chrétienne avant tout, et nous écouterons certainement aussi ses invitations, adressées à toutes les parties, afin qu’elles se rencontrent et qu’elles dialoguent. Je ne pense pas que l’on obtiendra plus que cela. Le Pape ne peut apporter la paix. Personne ne peut l’apporter de l’extérieur. Les personnes extérieures, le Pape en particulier, peuvent aider, mais la paix doit se construire ici.
Pour en revenir à l’actualité, il y a eu récemment des menaces à l’encontre de l’Église locale, en particulier la lettre de menace adressée au Vicaire patriarcal de Nazareth. Selon vous, est-ce qu’il s’agit d’incidents isolés ou a-t-on vraiment quelque chose à craindre ?
Père Pizzaballa : Il ne doit pas y avoir d’espace pour la peur et la crainte. Ce ne sont pas des incidents isolés. Les médias en parlent beaucoup parce qu’il y a la venue du Pape en préparation, mais ces sont des événements qui durent depuis un certain temps déjà. Même à Jérusalem, il y avait des épisodes dont on n’a pas parlé, parce que les médias n’ont pas voulu en faire mention surtout à cause de la question du mont Sion, du Cénacle, et du quartier arménien. En résumé, il y a des problèmes. Nous assistons à une sorte de polarisation, à la fois entre juifs, israéliens, de même qu’au sein de l’islam. Cependant, il s’agit de franges extrémistes qui ne sont pas représentatives de la population. C’est pour cela qu’il est très important de travailler dans le domaine de l’éducation, comme on ne cesse de le répéter, avec la police et avec les autorités politiques afin que ces minorités restent isolées.
Le Pape déjeunera avec quelques familles chrétiennes de Bethléem. Que veut-il exprimer par ce choix particulier, pour ne pas dire unique?
Père Pizzaballa : C’est un choix unique effectivement, mais ce n’est pas une nouveauté. Il a fait la même chose à Assise. Il était prévu qu’il déjeune avec les évêques. Il a dit « les évêques je ne veux pas les voir parce que je les vois tout le temps, je veux voir un peu des gens normaux ». Et il a fait la même chose ici à Bethléem, en se mettant en grande difficulté si je peux me permettre (dit-il dans un sourire), parce qu’ici, faire un choix parmi les familles pauvres n’est pas une mission aisée. Beaucoup resteront dehors. Je pense que le signal est très clair, l’Église doit se tourner vers les pauvres de l’évangile. Ce n’est bien entendu pas suffisant, mais c’est un geste qui s’adresse également à l’ensemble de l’Église, surtout à cette église locale.
Quel effet cela fait de rencontrer un pape qui s’appelle François lorsqu’on est franciscain?
Père Pizzaballa : Cela fait un certain effet, c’est sûr. Surtout au début, lorsque nous avons appris son élection et le nom qu’il avait choisi. Nous nous sommes demandé si c’était vrai ou si nous avions mal entendu. Puis avec le temps, on pénètre un peu dans cette dynamique qui est stimulante. Le pape François nous renvoie vers les pauvres, et les Franciscains ont cette responsabilité, pas celle de l’assistanat mais celle du partage, de la solidarité, celle de prendre en considération cet aspect de la vie de l’Évangile, qui est une partie intégrante de notre charisme. C’est un rappel très fort qui vise à ne pas nous faire perdre notre socle fondamental, en particulier pour nous ici en Terre Sainte car nous avons beaucoup d’activités, de toutes sortes. Car il y a toujours le risque de se perdre, le risque existe pour tout le monde, y compris pour nous. Le point focal est l’amour envers les pauvres, ce qui signifie l’amour envers le Christ. L’oublier revient à séparer spiritualité et amour envers le Christ, et oublier les pauvres.
Propos recueillis par Corrado Paolucci, traduction de Solène Tadié