Cette affaire d’un présentateur vedette ayant recours à une mère porteuse relance le débat sur la GPA au Québec.
28/04/2014
« En ce moment je suis fébrile. J’ai une confidence à vous faire, un secret trop longtemps gardé à vous révéler. Grâce à une femme extraordinaire qui a décidé d’accueillir en elle deux minuscules embryons, grâce aux avancées technologiques exceptionnelles et grâce à mon amoureux qui avait ce désir grand comme son cœur d’agrandir notre famille, je serai avec lui à nouveau papa ». C’est par ces quelques lignes, publiées le 22 avril dernier, que l’animateur vedette québécois, Joël Legendre, a annoncé sa joie de devenir père de deux jumeaux l’été prochain. Une annonce sur les réseaux sociaux qui a fait l’effet d’une bombe au Québec et qui a relancé les débats autour de la GPA et de cette naissance peu commune – pour l’instant. Un débat qui résonne tout particulièrement de ce côté de l’Atlantique.
Au Québec, différents débats se révèlent ainsi sur fond d’une seule et même polémique. L’affaire Legendre réunit en effet tous les fruits des lois controversées qui tournent autour du mariage homosexuel et de la PMA. Si le célèbre animateur et son conjoint ont obtenu la couverture de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) pour le traitement in vitro d’une mère porteuse, l’épais brouillard juridique concernant le recours aux mères porteuses suscite questionnements et débats.
Après l’annonce de ce remboursement, les voix se sont levées au Québec quant aux abus que ces législations floues et ambigües peuvent engendrer : auparavant, un couple gay avait bénéficié de ce remboursement pour « raisons médicales », en l’occurrence ici, l’absence d’utérus. Les limites de la nature existent-elles encore ? La médecine doit-elle suivre ce principe d’égalité des sexes ? « Je n’ai pas d’utérus, ça n’est pas ma faute », avait déclaré un homme, originaire du Lac-Saint-Jean, aujourd’hui père d’un petit garçon, conçu selon un mode d’emploi semblable.
L’ex-ministre de la Santé, le docteur Réjean Hébert, a répondu à une partie des polémiques lors d’une entrevue téléphonique le 24 avril dernier à MaPresse, durant laquelle il a soutenu qu’il n’y a eu aucun passe-droit ni changement de règlement pour permettre à la mère porteuse, une amie « dévouée » du couple, de se faire rembourser au Québec ses traitements de fertilité. Ils n’ont fait « que mettre en application le règlement de la Régie de l’assurance-maladie ».
Au-delà de ce remboursement remis en doute, c’est également tout le processus qui pose question. Interviewé sur le plateau de Tout le monde en parle, l’animateur explique : « On s’est tourné vers la fécondation in vitro, à la clinique Ovo (…), qui nous envoie un catalogue avec près de 200 mères [qui vendent leurs ovules], avec leurs pedigrees, leurs histoires personnelles et ce qui les motivent [à faire cela]. C’était notre dernier recours pour avoir des enfants ». De l’achat d’ovules aux Etats-Unis, à la mère porteuse « dévouée » made in Québec, la situation peut rapidement tourner au casse-tête juridique. Au-delà même des législations, la situation semble dépasser les limites de la réalité.
Depuis l’annonce de l’animateur, les débats se multiplient autour du recours à des mères porteuses qui utilisent la fécondation in vitro gratuitement grâce au Programme québécois de procréation assistée. Cette histoire a fait sursauter Alain Roy, professeur titulaire de droit à l’Université de Montréal : « Au départ, a-t-il déclaré, le programme de procréation assistée s’adressait aux femmes seules et en couple, ce qui, implicitement, signifiaient que les enfants n’étaient pas conçus par des tiers ». Le professeur s’insurge contre l’ambiguïté des lois, qui font courir le risque d’abus et de situations déroutantes : «
Est-on en train de financer des traitements de fertilité pour une mère porteuse, alors même que le Code civil considère que le contrat de mère porteuse est nul de nullité absolue ? Il y a quelque chose de discordant dans tout cela » a-t-il ajouté. Selon lui, il est urgent d’ouvrir un débat important afin de discerner si l’utilisation d’une mère porteuse est aujourd’hui socialement acceptable. « Est-on prêt à vivre aujourd’hui avec le risque que le corps de la femme soit instrumentalisé ? Que les plus vulnérables d’entre elles prêtent le flanc à une forme d’exploitation ? », questionne-t-il .
Si dans les textes québécois, la GPA n’est pas explicitement interdite, elle n’est pas non plus véritablement autorisée. En vertu de l’article 541 du Code civil du Québec, «toute convention par laquelle une femme s’engage à procréer ou à porter un enfant pour le compte d’autrui est nulle de nullité absolue». Une convention de GPA passée entre une personne tierce et un couple n’a donc aucune valeur légale. Si la mère qui a porté l’enfant décide de le garder, elle ne sera en aucun cas contrainte à le remettre au couple qui l’a sollicitée. Et réciproquement, si le couple ne veut plus de l’enfant, la mère qui l’a porté ne pourra pas entamer un recours. Entre casse-tête juridique et problèmes éthiques, les « grandes avancées scientifiques » n’ont pas encore fait leurs preuves…