Hart Island a accueilli les corps de près d’un million de bébés mort-nés, de sans-abris, ou de personnes non identifiées depuis 1869. Et les familles ont bien du mal à y retrouver leurs proches, ou tout simplement leur rendre visite.
18/04/14
La plupart des new-yorkais ignorent son existence et pourtant, Hart Island est l’un des plus vastes cimetières des Etats-Unis. Il est aussi le moins visité, et pour cause : l’accès y est interdit. Il est impossible de filmer ou de photographier les lieux.
L’île est située à l’Est du quartier du Bronx, où les corps sont enterrés par des détenus de la prison de Rikers Island, à l’abris des regards, dans des fosses communes situées dix mètres sous terre.
Hart Island a initialement fait office de cimetière pendant la Guerre de Sécession, avant de devenir successivement un camp d’entraînement, une prison pour les prisonniers Confédérés, une usine, un asile psychiatrique ou encore une plateforme de missiles durant la Guerre Froide.
Elle est aujourd’hui fermée par des fils barbelés, des pics et des barrières métalliques. L’île ne figure pas sur la plupart des cartes routières et elle est pratiquement imperceptible par un avion de nuit arrivant de l’ouest… Une sorte d’île fantôme, en somme…
Les fosses communes sont anonymes, et renferment environ 150 cercueils d’adulte en pin par fosse de 21 mètres de long, délimitée par de petits poteaux blancs, et un millier d’enfants, dans de minuscules cercueils marqués d’un simple numéro, dans des fosses à part. Certains corps ont été perdus, d’autres brûlés. Il est parfois impossible pour les familles de savoir si leur proche a bel et bien été enterré par la commune.
Melinda Hunt, une artiste qui s’est prise de passion pour Hart Island depuis les années 90, a publié un livre et produit un film sur la question en 2008. Désireuse de venir en aide à des familles du monde entier en quête de leurs proches disparus à New York, et qui seraient susceptibles de se trouver dans ce cimetière, Hunt a fondé en 2011 le Hart Island Project : « Vous avez le droit de savoir où une personne se trouve. Il est très important de ne pas faire disparaître les gens. C’est une chose inacceptable pour toute culture », a-t-elle affirmé à l’AFP.
À un autre magazine américain consacré aux histoires insolites, Melinda Hunt raconte que dans le cas des enfants, beaucoup de parents se voient proposer par les infirmières ou les travailleurs sociaux de laisser la ville s’en occuper, pour les soulager de cette épreuve, mais sans doute aussi pour accélérer les choses. En général, on assure aux parents que la tombe sera marquée du nom de l’enfant (ce qui est parfois vrai, mais pas toujours), et qu’ils seront libres d’aller s’y recueillir (ce qui n’est presque jamais vrai). « On n’explique pas qu’il s’agit de fosses communes et qu’il sera impossible de se rendre sur la tombe. Si les familles en étaient informées, je crois que la plupart opteraient pour des funérailles privées », ajoute-t-elle.
Le Département des prisons a fait savoir qu’il ne disposait pas des infrastructures nécessaires pour accueillir des visiteurs sur l’île, qui ne dispose pour l’heure que de bâtiments délabrés et abandonnés. Les autorités se sont toutefois résolues à permettre quelques visites depuis 2007, après avoir subi de nombreuses pressions de parents.
Laurie Grant, une femme médecin âgée de 61 ans, fait partie de ceux qui attendent toujours que ce droit de visite naturel leur soit accordé. Laurie Grant a accouché d’une petite fille mort-née en 1993, et devait enfin être autorisée à se rendre sur la tombe de son bébé le 28 mars dernier. C’est en vain qu’elle a attendu près de l’embarcadère, sous la pluie : les personnes désignées pour l’accompagner ne se sont pas présentées au rendez-vous. On ignore si ce manquement est à imputer à un défaut de volonté ou tout simplement à un défaut de communication ; il n’en demeure pas moins que Laurie Grant va devoir une fois encore prendre son mal en patience et retarder son deuil.
Ceux qui ont eu « la chance » de pouvoir rendre visite à leur proche disparu nourrissent pour leur part l’espoir de pouvoir un jour leur rendre visite aussi souvent qu’il leur plaira. Au cours de dernières années, Melinda Hunt aurait aidé environ 500 familles à retrouver la trace d’un défunt, et se souvient notamment d’un irlandaise qui était à la recherche de son grand-père. À ce jour, le Hart Island Project a réussi à répertorier plus de 60 000 tombes au sein de sa base de données.