Le nouveau premier ministre entre à Matignon avec la réputation –flatteuse pour les uns, détestable pour les autres- d’être un homme à poigne. Mais que peut-il empoigner sans changer de programme ?02/04/2014
Les Français aiment ça, du moins au début (et le début ne dure guère) : l’homme providentiel. Le « joker » sorti de la manche pour sauver la partie. C’est le coup que vient de tenter François Hollande en nommant son rival à Matignon. Le Président veut s’en faire une arme et un bouclier pour mener un « gouvernement de combat » – non sans le secret espoir que le vaillant soldat y succombera d'ici 2017.
François Hollande avait-il un autre choix ? Oui, bien sûr, celui de dissoudre et d’entrer en cohabitation. Un cadeau empoisonné pour la droite qui n’était pas prête à prendre la relève avec un pays dans un tel état. Mais Hollande n’est pas Mitterrand qui savait en imposer à ses adversaires comme à ceux de son camp, d’autant mieux qu’il distribuait son mépris équitablement aux uns et aux autres. En revanche, il en a le cynisme : François Hollande a choisi Valls avec à peu près la même empathie qu’un empereur romain jetant un gladiateur dans l’arène…ou que Mitterrand choisissant comme « fusible » Rocard, le mentor de Valls.
Qui est Manuel Valls ? Un excellent communicant. Chargé de la campagne du candidat Hollande, il a continué à faire de la communication au Ministère de l’Intérieur, à défaut de pouvoir afficher des résultats probants. Mais avant de s’occuper de la campagne de Hollande, le député de l’Essonne avait lui-même concouru dans la campagne des primaires socialistes pour l’Elysée en 2011 sous le slogan « l’énergie du changement », après que son candidat, Dominique Strauss-Kahn, eut été stoppé net à New York par l’obstacle que l’on sait. Il est donc clair que l’objectif de Valls, c’est le sommet de l’Etat. Tôt ou tard, la rupture avec François Hollande est inéluctable.
Contrairement à Hollande, ce Catalan (né à Barcelone, il y a 51 ans, il n’a été naturalisé qu’à 20 ans, trois ans après avoir adhéré au PS !) a le sang chaud. Comme Sarkozy, c’est un nerveux, une pile électrique qui « disjoncte » régulièrement au risque d’un effet boomerang. Sa vendetta contre Dieudonné (fallait-il que le ministre de l’Intérieur s’occupât en personne de ce personnage patibulaire ?) lui aurait fait perdre six points de popularité en janvier dernier.
Néanmoins sa cote demeure une des moins mauvaises pour une personnalité politique auprès des Français – à ceci près que ceux qui le rejettent, à gauche et à droite, ne sont pas près de changer d’avis.
La gauche pur sucre ne lui pardonne pas ses coups de menton "sécuritaires", son hostilité aux 35 heures, son scepticisme à l'égard des emplois jeunes, ses plaidoyers pour l'entreprise, pour le désendettement et la réduction des dépenses publiques, bref toute cette panoplie rocardienne qui lui avait valu l'avant-dernière place au premier tour des primaires socialistes. La « mère » des 35 heures, Martine Aubry, n’a pas digéré non plus qu’il ait dénoncé à cor et à cri les « combines » qu’elle avait ourdies au Congrès de Reims (2008), puis son ralliement à Hollande pendant la campagne présidentielle. Quant aux authentiques « Hollandais », ils n’oublient pas que Valls a défié leur patron avant de devenir son directeur de communication, puis son ministre de l’Intérieur. Les Verts ne peuvent pas le voir en peinture : sans surprise, Cécile Duflot, a annoncé son départ du gouvernement dès l'annonce de la nomination de Manuel Valls à Matignon. Sur ce, Europe Ecologie Les Verts (EELV) a fulminé l’exclusion de tout membre qui accepterait d’entrer dans le nouveau gouvernement (d'où une nouvelle déflagration au sein du parti écologiste). Résultat de ce 1er avril : la majorité du PS à l'Assemblée nationale se réduit à un siège…
Mais à droite aussi, outre la crainte qu’inspire toujours un ministre de l’Intérieur, on se défie de ses prises de position musclée qui ont l’air d’emprunter à la droite de la droite, qu’il s’agisse d’armer la police municipale, de recourir à la vidéosurveillance, ou de lutter contre l’immigration. Marine Le Pen brocarde ses résultats en matière de sécurité, et qualifie cet «UMPS» d’« ultralibéral décomplexé » en l’opposant à Hollande, « ultralibéral honteux » (cf. Le Point).
Quant aux familles qui ont participé aux « Manifs pour tous », elles n’oublient pas de quoi le ministre de l’Intérieur a été capable pour « rétablir l’ordre » -en réalité pour imposer le profond désordre qu’instaure la loi Taubira. Sa nomination est «un signal inquiétant pour les familles au lendemain du 2ème tour des Municipales qui a vu l'élection de 85% des têtes de listes signataires de la Charte de la Manif pour Tous», a réagi le collectif (cf. Aleteia).
Se serait-il contenté de « faire le job » comme ministre de l’Intérieur, sans état d’âme mais sans conviction ? La répression policière et les violences verbales que le ministre de l'Intérieur a personnellement proférées à l'encontre des manifestants ne sont pas simplement la marque d'un adversaire, mais d'un révolté : ne serait-il pas intimement fouaillé par l'éducation catholique reçue dans sa jeunesse ? (cf. Famille Chrétienne)
Du temps où il n’était encore que député de l'Essonne et maire d'Evry, mais candidat à la primaire socialiste, il s’était montré ardent partisan du « mariage pour tous » et même de la PMA « à toutes les femmes » dans une interview au journal homosexuel Têtu « opportunément » exhumée par Le Monde. Mais ayant eu à gérer dans la rue les manifestations à répétition contre la loi Taubira comme ministre de l’Intérieur, il prit les devants dès le lendemain de la « Manif pour tous » du 2 février dernier pour annoncer qu'il n'y aurait « ni PMA, ni GPA » dans la loi famille, ravissant la parole au Premier ministre d’alors, un certain Jean-Marc Ayrault… Pur opportunisme, culot bonapartiste qui exaspère ou affole nombre de socialistes.
Sa capacité à faire volte-face avec la même détermination qu’à lancer l’offensive peut faire gagner au gouvernement Valls quelques batailles -face à la droite, face aux "Hollandistes", face à la gauche de la gauche, face aux Verts-, mais non la guerre. Mener celle-ci au sein de l’Europe avec le boulet du déficit et de la dette française, sous le feu des marchés financiers et des injonctions de Bruxelles, exigerait un « new deal », un changement de programme et de logiciel. Or celui-ci a été vérouillé par François Hollande qui, sauf à se démettre, ne peut plus y toucher.