Le livre « Ce pape qui plaît trop » confond le pape des médias et l’homme qu’il est en vérité. Réaction du journaliste Riccardo Cascioli.29/03/2014
De l'autre côté des Alpes, l’ouvrage publié par Giuliano Ferrara, Alessandro Gnocchi et Mario Palmaro, « Ce pape qui plaît trop » fait parler de lui. L'une de ses principales dénonciations : la machine médiatique avec laquelle le pape François aurait la mauvaise habitude de flirter, favorisant ainsi une notoriété personnelle croissante et cassant l’image intouchable et sacrée de l’image papale qui s’est construite au fil des siècles.
Une machine dont il est, disons-le, très difficile d’en sortir indemne : et cela, semble être le dessein des auteurs, Gnocchi et Palmaro, lesquels, à cause de leur critique du Pape, qui, de leur point de vue correspond à un « acte d’amour » envers l’Eglise catholique, ont été évincés de leur poste à Radio Maria. Mais ce livre a au moins l'intérêt d'offrir l’occasion, hors de tout engouement, de faire un point sur la situation, après un an de Pontificat, de ce pape tant chéri. Aleteia a demandé son avis sur le sujet à Riccardo Cascioli, directeur du quotidien catholique italien La Nuova Bussola Quotidiana.
Que pensez-vous du fait d'accuser le Pape d'une trop grande connivence avec le monde des médias ?
Riccardo Cascioli : Je comprends qu’il y ait, légitimement, une certaine gêne quant à la façon dont on présente le Pape : un véritable “phénomène François” généralisé, qui met ainsi l’accent sur le moindre détail insignifiant. Par exemple, nous avons pu voir le Pape malade à la une de tous les journaux, comme si cela n’avait jamais eu lieu avant. Il est vrai qu’il y a, même dans les journaux catholiques, un surplus de flatteries qui gêne et atteint le Pape. Le Pape lui-même, dans une interview au Corriere della Sera, a déclaré qu’il ne voulait pas être traité comme une star.
Cela dit, il me semble que Gnocchi et Palmaro ont été eux-mêmes les victimes de ce jeu médiatique : ils parlent en effet du Pape qui est présenté par les médias, et non de l’homme qu’il est en vérité. Je pense que l’exemple le plus clair est leur critique extrêmement dure de son voyage à Assise, qui apparait comme une énorme erreur si vous pensez à ce qui s’est réellement passé. A cette occasion en effet, la visite du Pape avait tout de normal, avec des moments touchants, durant laquelle le Pape François a détruit l’image caricaturale que l'on veut plaquer sur la sainteté de saint François. Très vite dans les journaux, on a pu lire que le Pape allait demander aux cardinaux de se dépouiller [comme saint François d'Assise retirant ses vêtements], dans un geste symbolique : à Assise, ce dernier s’est alors moqué des journalistes lorsqu’il a dit : « Dépouillons-nous tous, mais de nos péchés ». Ce geste souligne la différence qui existe entre le Pape présenté par les médias et le Pape en personne, qui vient et qui explique en vérité qui était Saint François. De tout cela, il n’y en a pas une seule trace dans l’œuvre de Gnocchi et Palmaro. Ils parlent en effet de lui comme s’il avait fait tout ce que le journal italien La Repubblica avait déclaré les précédents jours. Ce sont eux-mêmes les victimes d’une vision du Pape « emprisonné » par les médias.
Mais est-il vrai que son désir d’être une personne « trop normale » anéantit la fonction sacrale d’un Pape ?
Riccardo Cascioli : Cela me fait rire cette façon de juger, que ce soit de la part de ceux qui l’acclament comme de ceux qui le critiquent, ce que fait Bergoglio, comme si tout était nouveau, alors que nous avons eu, il n’y a pas très longtemps, un Jean Paul II qui avait déjà bouleversé les étiquettes. Je me rappelle très bien ses débuts, quand il les rendait tous fous, à commencer par la sécurité. Jean Paul II était un cyclone : il a fait construire une piscine au Vatican, il allait skier, tout ce qu’il faisait dépassait toutes les fantaisies possibles. Il venait après des papes qui sortaient rarement du Vatican, et c’est pour cela qu’il a fait une sorte de révolution, différente de celle du pape François. Mais ce qui n'est pas pardonn" au pape François, et qui n’a pas été pardonné à Jean Paul II, c'est que ce qu’ils sont est ce qu’ils sont : le pape Bergoglio était ainsi lorsqu’il était prêtre, évêque et désormais pape. Il est lui-même et l’a toujours été. Bien sûr, c’est différent si l’on pense à la responsabilité qu’ont les personnes autour du Pape, qui suggèrent d’accentuer certains points – les vieilles chaussures, la croix de fer – aux journalistes et qui ont pour but, eux, de faire briller ce Pape, en tentant de l’opposer à son prédécesseur.
Est-il vrai, comme le soutiennent les auteurs, que le « cœur » de François a crée une rupture avec la « raison » de Benoit XVI ?
Riccardo Cascioli : L’histoire n’avance pas avec des ruptures, mais ce sont des situations qui sont en fait le résultat d’un long cheminement. Il est certain que le pape François est différent de son prédécesseur : en grande partie par son caractère et sa culture sud-américaine. Mais ce qui compte c’est la papauté : le Pape se doit de transmettre la foi comme elle l’a été par les apôtres, avec évidemment des ajustements, car la Tradition se mêle à l’Ecriture. Sur ce point, le Christianisme est différent de l’Islam, où tout est figé. Et ce Pape démontre très certainement une sensibilité très différente de celle de Benoit XVI, comme par exemple sur la question des principes non négociables, qui est également très évoquée par les journaux. C’est une autre façon de s’interroger. Mais penser que cela soit une réelle rupture avec le passé semble être juste l’illusion de quelqu’un qui souhaite prendre une certaine revanche. Je voudrais rentrer un peu plus dans les détails : il y a un livre récent de Renzo Guccetti, Les poisons de la contraception, qui fait une digression sur le pontificat de Paul VI. Il est intéressant de noter ici un parallèle historique avec le pape François : sous Paul VI, juste après le Concile, s’est crée une atmosphère de grandes attentes et l’on pensait que tant de choses allaient changer, et également en termes de doctrine. Nous savons qu’il y a eu des pressions venant de ceux qui désiraient tout révolutionner. Lorsqu’en 1968, est publié l’Humane Vitae, toutes ces espérances se sont écroulées, et Paul VI fut massacré par les mêmes personnes qui l’avaient jusqu’alors soutenu. Aujourd’hui, le même phénomène est en train de se répéter, et l’objet principal est le Synode sur la Famille. Certains cardinaux allemands, et ce n’est pas un hasard, parlent déjà de supprimer l’Humae Vitae : c’est ceux qui cherchent une revanche sur cette encyclique. De grandes attentes sont en train de se créer, ayant pour objet de changer la doctrine sur la famille, et l’on tente d’emprisonner le pape François dans cette logique d’opposition à celui qui l’a précédé.
Et que pensez-vous des critiques concernant les prises de position du pape sur la doctrine ?
Riccardo Cascioli : Avec Gnocchi, mais surtout avec Palmaro, je dois dire que je suis d’accord sur beaucoup de choses, notamment sur le niveau de confusion totale qu’il y a au sein de l’Eglise. Mais eux, ils s’en sont pris directement au Pape, et je pense qu’ils se trompent de cible, car il y a au sein de l’Eglise des forces qui créent cette confusion, qui ont fait émerger une sorte d’Eglise parallèle, protestante mais sous l’enseigne de l’Eglise catholique. Il suffit de voir ce qu’il se passe en Allemagne, en Suisse ou en Autriche, où a été établi un enseignement parallèle. Et ils pensent désormais pouvoir influencer le Pape vers ces positions.
Que pensez-vous de ceux qui, comme Massimo Introvigne, soutiennent que la position de Gnocchi et Palmaro est « schismatique » ?
Riccardo Cascioli : Tout ce que fait un pape n’est pas forcément compris. Si le Pape dit quelque chose, surtout lors d’une interview, sa façon de s’exprimer peut être déstabilisante, et notamment si l’on parle de la lucidité et de la logique de son prédécesseur. Ce qu’il dit peut être certes discuté, mais l’on ne peut pas penser, comme le font Palmaro et Gnocchi, qu’il y a une espèce de tradition de l’Eglise qui doit être défendue parce qu’elle est menacée par le Pape. En ce qui concerne le Catéchisme, le Pape est le garant de la Tradition ; la Tradition n’est pas simplement ce qui relève de l’usage général, c’est le Pape qui donne à l’Eglise toute sa valeur. Créer cette sorte d’antagonisme entre la Tradition et ce que dit le Pape est particulièrement dangereux, parce que cela va directement contre le Catéchisme de l’Eglise Catholique. C’est en cela que je crois que leur livre est en train de créer une énième confusion, car on ne comprend plus ce qui relève de l’Enseignement et ce qui n’en relève pas. L’Enseignement est l’Encyclique, ça n’est pas l’interview à Scalfari ni l’homélie à Santa Marta. Dans tout les cas cependant, tout ce que dit le Pape doit être lu sous la lumière de l’Enseignement : l’Encyclique est ce qui nous ôte les doutes. En même temps, il faut tout de même reconnaitre qu’ils ont posé des questions qui ne peuvent pas être négligées comme le fait Introvigne, mais qui peuvent être discutées.
Quel est, s’il y en a un, le problème lié à la communication de l’Eglise ?
Riccardo Cascioli : Il y a effectivement un problème. Le problème est que personne ne lit l’Encyclique, alors que l’interview à Scalfari et à De Bortoli s’y réfère grandement. Alors, il devient important que le Pape prenne en compte ce problème de la communication. Tu peux écrire dans l’Encyclique une chose importante, mais après, il y a à la une de La Repubblica : « Dieu n’est pas absolu », ce qui contredit ce que dit l’Eglise depuis 2000 ans, et tout s’écroule. Alors se pose le problème de la façon de communiquer : si moi je communique beaucoup à travers les interviews, alors j’augmente le risque d’être incompris. Mais celui qui a la prétention d’expliquer aux autres ce que pense le Pape, comme le font Gnocchi et Palmaro, doit se préoccuper d’absolument tout ce qu’il dit et ce qu’il fait, et non se limiter à observer qu’une petite partie, simplement pour faire polémique. Ca n’est pas comme cela qu’on l’on obtient la Vérité.
Traduit de l’édition italienne d’Aleteia par Mathilde Dehestru.