Le père Michajlo Dymyd, le «chapelain de la place Maidan», revient pour Aleteia sur la révolte de Kiev.Père Michajlo Dymyd, que pouvez-vous nous dire de ces derniers jours de révolte en Ukraine ?
Les gens se reprennent doucement après le bain de sang de ces derniers jours. Il y a un nombre incalculable de fleurs sur la place Maidan, et je n’ai jamais vu de ma vie autant de personnes affluer dans les rues. C’est un pèlerinage sans fin. Dans les yeux des gens, on peut lire une grande tristesse, mais aussi une profonde interrogation. Beaucoup pleurent. Hier, j’ai vu une classe de jeunes âgés de 14 ans se rendre avec leur professeur, chacun une fleur à la main, sur les lieux du drame.
Pourquoi était-ce important pour vous d’être présent dans la rue auprès des manifestants ?
J’ai passé chaque jour aux côtés du peuple pour prier pour eux et avec eux, pour les soutenir et surtout pour les aider à ne pas se tromper sur les causes de la lutte. Le motif de cette lutte est la liberté, la dignité, et on ne peut atteindre l’une et l’autre que par le bais des règles proposées par l’Évangile. Nous devons aimer notre prochain, de même que notre ennemi, identifier le mal, le combattre et en détruire tous les signes. Il est crucial de bien différencier tous ces points pour suivre le chemin de Dieu.
Il est de notre devoir, à nous les prêtres, d’assister les gens. Durant les émeutes, dès que l’un d’entre nous priait, les autres autour priaient aussi, tout le monde participait, chacun à sa façon. L’Esprit agissait sur les gens.
Quant à moi, j’étais un de ceux qui pouvaient purifier le sacrifice humain et le rendre divin, en le rendant acceptable. Le rôle du prêtre est un rôle très noble en ce sens, et les gens nous remercient de toutes parts… Certains disent même que sans nous il n’y aurait pas de victoire. Je sais que j’ai été envoyé là-bas en tant qu’ambassadeur du Seigneur. Là-bas, je pouvais prier, baptiser, donner l’extrême onction pour ceux qui étaient proches de la mort, rendre visite aux malades, absoudre les péchés… C’est le lieu idéal pour une pastorale intense. C’est là que l’on voit la grande bonté du Seigneur.
Le président Yanukovych a été élu démocratiquement, mais à présent, il a été éloigné du pouvoir. Ce geste est-il réellement utile pour le pouvoir ? Ce vide ne risque-t-il pas de créer une sorte d’anarchie?
La légalité est relative. Il y a la légalité de la mafia, la légalité de groupe, celle de l’état démocratique, de l’état dictatorial. Il existe diverses formes de légalité. Je pense que Yanukovych a été élu mais via des fraudes importantes, qui font que je doute fort qu’il ait obtenu toutes les voix comptabilisées. S’il est élu légalement mais qu’il érige un système illégal, son pouvoir doit-il demeurer légitime? Par ailleurs, la question sera vite réglée car le Parlement est déjà en train de fixer une date pour de prochaines élections présidentielles, qui devraient avoir lieu dans quelques mois.
Certains soutiennent que le nouveau gouvernement «révolutionnaire» d’Ukraine est aux mains de fascistes et de néonazis, que pensez-vous de cette rumeur?
Le peuple ukrainien est pacifique et il ne sombrera pas dans l’extrémisme. Mais il me semble opportun d’éclaircir le concept de nationalisme. Ici, en Ukraine, le patriotisme est appelé nationalisme, mais le nationaliste n’est pas extrémiste ! Il ne veut que le bien de sa patrie et en aucun cas le mal de la patrie des autres. L’Ukraine est un jeune pays, il n’a que 22 ans et il a près de lui la Pologne qui accepte et veut contribuer à la proclamation de l’État ukrainien. Mais à côté de cela, il y a des nations comme la Russie qui hélas tentent de s’opposer à l’indépendance.
Comment imaginez-vous le futur de cette nation?
Un peuple d’esclaves a besoin de plusieurs générations pour s’extraire à cette condition. Un grand défi se présente aux intellectuels, aux médias, aux institutions et bien sûr aux églises : celui d’aider chaque ukrainien à être libre, à apprendre à connaître la liberté. Et le rôle de l’Europe est fondamental à cet égard.
Je reste toutefois conscient qu’il y a un gros travail à abattre pour revenir à la normale, surtout d’un point de vue culturel. Je pense aussi que qu’il faudra attendre que le dernier monument à l’effigie de Lénine soit détruit pour que notre peuple commence à se concevoir comme libre.
Quel rôle joue l’Église dans votre pays ?
Il est nécessaire qu’elle éduque ses enfants à la liberté… Saint Augustin disait «mon coeur ne trouvera pas la paix tant qu’il ne t’aura pas trouvé Seigneur». L’Église doit parler du véritable sens de la liberté : le fait de pouvoir faire le bien. Je suis libre en faisant le bien. Si je ne souhaite pas faire le bien, je ne suis pas libre.
Et comment la liberté peut-elle s’exercer ? Quand nous sommes en rapport avec notre Créateur, parce que la liberté est le fait d’aller vers le Créateur, parce que nous avons été voulus pour lui. Chacun d’entre nous doit se poser les questions suivantes: suis-je libre ? Qu’ai-je fait pour mon prochain ? Suis-je en relation avec mon Créateur ? C’est précisément à cette liberté que l’Église doit éduquer son peuple.
Vous pouvez relire ici le témoignage du père Dymyd du 21 février dernier, alors que Kiev était plongée dans le chaos.
Interview réalisée par Corrado Paolucci et Solène Tadié.