Après la publication du rapport terrifiant des enquêteurs de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans le pays, Aleteia propose un état des lieux21/02/2014
Les atrocités perpétrées par le régime de Kim Jong-Un indignent l’ensemble de la communauté internationale. Après la parution, le 17 février, du rapport de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en Corée du Nord, les différentes organisations internationales de défense des droits de l’homme espèrent que le dictateur pourra être jugé en tant que responsable de crimes contre l’humanité. Mais la Chine va certainement s’y opposer.
Giorgio Cuscito, expert en géopolitique chinoise et contributeur pour la revue italienne Limes (spécialisée en géopolitique), a réagi au micro d’Aleteia après la publication du rapport des Nations unies.
Quel rôle a joué la Chine en tant que médiateur entre l’Occident et la Corée du Nord?
La Chine est sans doute l’alliée la plus importante de la Corée du Nord, elle est son principal défenseur face aux critiques émanant de la communauté internationale. Ce fut le cas l’an dernier, quand les tensions entre la Corée du Nord et la Corée du Sud se sont intensifiées suite à une série de tests nucléaires effectués par le régime de Pyongyang. Et à présent Pékin prend sa défense face au rapport publié par les Nations unies sur la situation des droits de l’homme en Corée du Nord.
Selon ce qu’affirme le rapport des Nations unies, la Corée s’est rendue coupable d’une série de crimes contre l’humanité, bien qu’à cet égard la commission n’a pu le vérifier directement, l’accès au pays lui ayant été interdit. Le rapport se base par conséquent sur une série de témoignages anonymes pour éviter d’éventuelles rétorsions.
La commission a demandé la saisie de la Cour Pénale Internationale afin que Kim Jong Un soit jugé en tant que responsable direct des actes perpétrés, mais la Cour est en charge des crimes contre l’humanité lorsqu’ils concernent les pays signataires du Statut, à moins que les Nations unies et notamment le Conseil de Sécurité, ne s’adressent directement au tribunal, mais pour ce faire il faut que le Conseil de Sécurité vote cette décision à l’unanimité.
C’est en cela que le rôle de la Chine est déterminant. Il est clair que la Chine redoute d’être impliquée puisque le rapport affirme que la République Populaire a refusé d’aider la commission durant ses travaux en ne leur permettant pas de consulter des experts chinois sur la question de la Corée du Nord.
Est-il réaliste de penser que la Chine votera contre son alliée au Conseil de Sécurité de l’ONU?
C’est totalement improbable. L’alliance avec la Corée du Nord est importante face aux Etats-Unis, étant donné que Washington est l’alliée de la Corée du Sud, qui est le siège de nombreuses bases militaires américaines. Pyongyang maintient les Américains bien loin des frontières chinoises, ce qui justifie ce soutien.
Est-ce que Pékin peut d’une quelconque façon peser sur la Corée par rapport à la situation des droits de l’homme sur son territoire?
Absolument. Pékin peut demander à Pyongyang d’améliorer les conditions internes, afin d’éviter des procès internationaux. Elle peut convaincre la Corée du Nord d’assouplir la condition des détenus et plus généralement la condition de ses citoyens. La Chine est du reste déjà intervenue pendant la dernière crise entre les deux Corée afin de pousser Pyongyang et son jeune leader Kim Jong Un à trouver un compromis raisonnable. Ne serait-ce que parce qu’il n’est pas avantageux non plus pour Pékin d’avoir un allié qui créé autant de problèmes sur le plan international.
Quelles conséquences pourraient avoir le rapport de la commission de l’ONU sur les futurs équilibres géopolitiques ?
Très certainement une intensification de la pression envers
Pyongyang. Comme je l’ai dit, les Etats-Unis, après la publication du rapport, ont soutenu la position des Nations unies et ont demandé à la Corée du Nord de prendre des mesures. Cela a entraîné la réponse immédiate de la Chine qui a pris la défense de son alliée historique. Si les pressions exercées sur Pyongyang se poursuivaient, cela pourrait devenir un autre motif de tension dans la région.
Où en sont les relations entre les Etats-Unis et la Chine ? Dans quelle mesure pourraient-elles aider la communauté internationale à avoir un contact plus direct avec le régime de Kim Jon Un et en améliorer la situation interne?
Les USA et la Chine sont la première et la seconde puissance au monde. Les Etats-Unis mettent en oeuvre une politique d’endiguement appelée “Pivot to Asia” dans la région pacifique de l’Asie, et qui consiste à limiter la formidable ascension économique et militaire de la RPC.
Pékin est toutefois le premier créditeur étranger des USA. Et pour cette raison le rapport d’interdépendance économique les oblige à dialoguer. Je crois qu’il est dans l’intérêt de la Chine, dans le cadre de ce rapport compliqué avec les Etats-Unis, de pousser la Corée du Nord à faire quelque chose pour la situation des droits de l’homme. De cette façon, il serait plus facile pour la Chine de préserver le statut quo dans la région.
Par quel biais pourrait naître la démocratie en Corée du Nord ? Est-il possible d’envisager une future révolution politique et culturelle émanant des jeunes générations et des activistes pour changer les conditions du pays?
C’est une hypothèse plutôt improbable pour le moment. Le régime réprime toute forme de protestation et je ne crois pas qu’à moyen terme on pourrait assister à un tel scénario.
Quelle initiative pourraient prendre les communautés internationales pour agir en faveur de la dignité humaine en Corée du Nord ?
L’institution d’un tribunal international serait un grand pas en avant. Mais tant que Pékin soutient Pyongyang, cela reste improbable. Le rôle de la Chine est déterminant, je le répète.
Le rapport accablant de l’ONU
Le rapport remis par le président de la commission d’enquête de l’ONU et présenté à Genève lundi dernier est sans appel : la Corée du Nord s’est rendue coupable de nombreux crimes contre l’humanité, par des “violations systématiques, étendues et grossières des droits de l’homme”.
Le document de 372 pages rassemble le témoignage d’environ 320 personnes, dont des ex-détenus des fameux camps de prisonniers politiques (dont le régime de Pyongyang nie l’existence, bien que des images satellites prouvent qu’ils sont toujours en activité). D’après les enquêteurs, entre 80 000 et 120 000 personnes sont actuellement retenues dans ces quatre grands camps.
Le même document rapporte que des centaines de milliers de personnes sont décédées dans les camps, dans des conditions atroces : “privations délibérées de nourriture, travaux forcés, exécutions, torture, interdiction de se reproduire par le biais de punitions, avortements forcés et infanticides”. Les experts estiment que ces crimes sont largement comparables aux crimes perpétrés par les nazis durant la Seconde guerre mondiale.
Le juge australien Michael Kirky, président de la commission, entend déposer plainte devant la Cour Pénale internationale ou un tribunal ad hoc, affirmant que “la gravité, l’ampleur et la nature de ces violations témoignent d’un pays sans aucun équivalent dans le monde actuel ».
Si la condamnation est unanime parmi les pays de l’ONU, le soutien de la Chine à sa vieille alliée pourrait empêcher la saisie de la CPI. De nombreuses associations en faveur des droits de l’homme ont exhorté la République Populaire à ne pas opposer son véto et les enquêteurs ont averti Pékin qu’elle pourrait être accusée de “complicité de crimes contre l’humanité” si elle renvoyait les exilés en Corée du Nord, ce qui vaudrait certainement à ces derniers des actes de torture, des avortements forcés ou des exécutions sommaires.
Le père Gerald Hammond, seul missionnaire autorisé à entrer en Corée du Nord
Le père Gerald Hammond, 80 ans, est l’unique prêtre catholique à avoir accès au pays de Kim Jong Un. Il est né aux Etats-Unis et est arrivé comme missionnaire dans la péninsule coréenne dès la fin de la guerre fratricide qui divisa le pays en deux. Il vit aujourd’hui à Seoul depuis 54 ans et est supérieur régional de l’Institut des missionnaires de Maryknoll. Depuis 1988, il peut entrer en Corée du Nord par le biais de quelques organisations humanitaires qui rendent visite surtout aux centres qui soignent la tuberculose et il a pu entrer plus de 50 fois sur le territoire.
Dans une interview accordée à Luca Fiore pour la revue Tracce en avril 2013, père Hammond raconte sa visite au régime: “Dès notre arrivée à Pyongyang, nous sommes constamment accompagnés par le personnel du gouvernement. Ils nous assistent en tout et en permanence. Ils sont très gentils et serviables.”
Le prêtre explique qu’il est impossible d’introduire des téléphones portables ou des ordinateurs dans le pays et qu’il ne se rend que dans des lieux où il est accompagné. Quand il est là-bas, il collabore avec les fonctionnaires du Département de la santé de la Corée du Nord, parce sa mission est essentiellement liée au problème de la tuberculose, lui-même dû à la malnutrition et aux lieux de travail insalubres.
Le père Hammond ne cache pas son identité, les autorités savent qu’il est prêtre, il ne l’a jamais caché. Il ne dissimule pas non plus les dialogues qu’il a avec les patients: “ Ils voient que je suis prêtre et quand ils me demande de dire une prière nous la récitons ensemble. Je suis autorisé à dire ce que je veux.”
Le prêtre n’a cependant pas le droit de parler de politique ou de religion en tant que tel. Il peut répondre aux questions religieuses, mais ne peut aborder lui-même le sujet.
Concernant les chrétiens de Corée du Nord, il y a selon le gouvernement 3000 catholiques pour 23 millions d’habitants. Mais il n’y a en aucun cas une présence manifeste de l’Eglise. Au début de la Guerre de Corée, débutée en juin 1950, tous les évêques, prêtres, soeurs et catéchistes ont été arrêtés ou tués. Tout a été bombardé: il y a eu plus de bombes lancées sur la Corée du Nord que dans toute l’Europe durant la Seconde guerre mondiale.
Le père Hammond raconte que ce qui le frappe le plus lorsqu’il se rend à Pyongyang, c’est le visage des patients après leur avoir administré des soins contre la tuberculose: “Il suffit d’un instant pour qu’ils se sentent déjà mieux. Ils réalisent que quelqu’un s’est intéressé à eux.”
Au cours des derniers mois
–L’ex-petite amie du dictateur exécutée (29/08/2013)
Hyon Song-wol, chanteuse dans un groupe musical nord-coréen et ex-petite amie de Kim Jong Un, aurait été exécutée à la mitraillette avec ses onze camarades de scène selon un quotidien sud-coréen, pour avoir enregistré et commercialisé une vidéo pornographique en Chine.
–80 personnes abattues pour avoir regardé la télévision sud-coréenne et avoir possédé une bible (03/11/2013)
Les exécutions ont eu lieu en public et dans différentes villes de Corée du Nord. Les journaux sud-coréens rapportent que 10 000 personnes dont des femmes et des enfants ont été obligés d’assister aux mises à mort.
–L’oncle de Kim Jong Un exécuté (12/12/2013)
Jang Song Thaek, l’oncle et mentor du dictateur, a été jugé en décembre dernier après avoir été démis de toutes ses fonctions. Il était en effet accusé de comploter contre son neveu. Lui et ses collaborateurs ont été tués. Plusieurs médias asiatiques rapportent que la famille de Jang Song Thaek a également été passée par les armes.
-Les déportations dans les kwanlisos (05/09/2013)
A ce jour, 23 000 personnes ont demandé l’asile à Séoul après avoir affronté les périls d’un long voyage vers la liberté. Les rescapés racontent les exécutions sommaires, les tortures, les violences sexuelles et les avortements forcés subis dans les camps.
Article réalisé par Solène Tadié, Corrado Paolucci, Ary Ramos, Clarissa Oliveira et Sabrina Fusco.