Il a raflé trois Victoires de la Musique : du meilleur interprète masculin, du meilleur album, du meilleur clip vidéo. Un succès emblématique d’une époque en quête d’amour et de vérité. 15/02/2014
Par quatre fois au moins, nous avions défilé sur les paroles de sa chanson. Sur quatre syllabes d’une langue bien personnelle mais rejoignant celle de tous ! Papaoutai. Paroles simples s’il en est, parlant à l’âme, phonétique universelle d’un paysage primitif aussi humain que divin. Elles s’élancent, ces paroles sources, fortes, dérangeantes, douloureuses, pessimistes ; on les écoute pour la énième fois, sans se lasser : « Tout le monde sait comment on fait des bébés. Mais personne sait comment on fait des papas ». Les manifestants de la Manif Pour Tous avaient alors rapidement fait leur cette chanson emblématique d’une époque en quête d’amour et de vérité mais qui les manque tellement.
En plein débat non éteint du mariage pour tous, y compris après le vote forcé du printemps dernier, il y a quelque chose de tout à fait prophétique à voir le succès phénoménal d’une chanson qui tombe comme à pic. Ce soir, Stromae (Maestro en verlan) a ainsi raflé trois Victoires de la musique : Victoire du meilleur interprète masculin, du meilleur album, du meilleur clip vidéo. C’est mérité et ce triple succès vient on ne peut plus justement récompenser l’homme de deux mètres aux chemises papier-peint qui chante, danse, pense. Artiste total au nom à l’envers, à l’intelligence à l’endroit.
« Formidable » : chant de la dignité perdue ?
La chanson « Formidable » ne laisse pas d’intriguer, avec cet unique mot persistant qui fait refrain, presque litanies. Dans « papaoutai », on les avait déjà attrapés à la volée ces adjectifs au suffixe en –able signifiant « digne de ». Ainsi « Détestable » digne d’être détesté, « admirable » digne d’être admiré…
« Formidable ». Là où nous ne prononçons ordinairement le mot qu’avec trois syllabes, « e » muet oblige, Stromae fait sonner le « e » final étrangement, de plus en plus lourd d’une violence revancharde, renforçant dans le même temps le « for » initial. Ce faisant, il contorsionne le mot comme se contorsionne le grand corps saoul de l’interprète ivre. « Fort bourré », le chanteur-danseur fait sortir la vérité crue d’une rupture « fort minable », celle de « maman qui vieillit », de papa « qui trompe maman ». C’est alors que l’étymologie « Formidable » déjà si rêche de son “r” reprend vigueur avec son antique sens de « redoutable », de « terrible ». Formidable, vocabulaire de la guerre ! Génial Stromae !
H.B.