Il y a 60 ans jour pour jour, l’Abbé Pierre lançait son célèbre appel à la radio. Mais la précarité n’a pas été éradiquée pour autant, et les bidonvilles sont de retour."Mes amis, au secours! Une femme vient de mourir gelée cette nuit à trois heures sur le trottoir du boulevard Sébastopol". C'était le 1er février 1954. l'abbé Pierre lançait son vibrant appel sur l'antenne de Radio-Luxembourg. Le lendemain, les sacs de courrier affluaient à l'accueil de la radio, et le mouvement était lancé. Cette nuit-là, l'abbé Pierre était en maraude dans Paris avec quelques-uns de ses compagnons d'Emmaüs. Apprenant qu'une vieille femme expulsée venait de mourir boulevard Sébastopol, il fonce rue Bayard à Radio-Luxembourg, et lance un appel vibrant qui touche au cœur les auditeurs : "Il faut que ce soir même dans toutes les villes de France des pancartes s'accrochent sous une lumière dans la nuit où on lise : 'toi qui souffres qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t'aime'".
En ce 1er février, Emmaüs, le mouvement créé en 1949 par l'Abbé Pierre, lancera pour sa part un nouvel appel dans différentes villes de France, en espérant réveiller les consciences des citoyens et des élus, à la veille des élections municipales. Mais 2014 n'est pas 1954… Comme le disait si bien un slogan récent du Secours Catholique, "il appartient à chacun de penser à tous". Prions pour que ce nouvel appel soit entendu par les chrétiens d'aujourd'hui, qui retrouvent dans le pape François ce même souci des plus pauvres et des plus faibles qui animait l'Abbé Pierre.
"Comme je voudrais une Eglise pauvre, et pour les pauvres", disait-il d'ailleurs, le 16 mars dernier, lors d'une audience aux journalistes. À Noël dernier, le pape François avait également imaginé avec son aumônier un "kit de la charité" distribué à 2000 pauvres du diocèse de Rome. Chaque kit comprenait une enveloppe affranchie avec un timbre du Vatican, prête à utiliser, une carte de téléphone, quelques tickets de métro et une image de Noël signée par le Pape. Ces enveloppes avaient non seulement été distribuées par des volontaires ou des communautés au service des plus démunis, mais aussi par l’aumônier du Pape en personne.
"La pire de toutes les exclusions, c'est de ne pas savoir ce que l'on fait sur la Terre, de se sentir de trop, de ne plus avoir de patrie, de lieu où aller, expliquait l'Abbé Pierre lors d'une de ses dernières interviews. Mais le pauvre d'aujourd'hui sait une chose : qu'il existe des moyens de remédier à sa condition. C'est la grande différence avec hier. Le pauvre, qu'il vive chez nous ou dans le tiers-monde, sait" Aujourd'hui, ceux qui ont succédé dans ses efforts à l'Abbé Pierre ont cependant souvent l'impression de devoir remplir un puits sans fond. En matière de logement précaire, soixante ans jour pour jour après l'appel de l'Abbé Pierre, les bidonvilles ont refait leur apparition en périphérie des villes et les SDF sont de plus en plus nombreux, tandis que des milliers de salariés pauvres sont à deux pas de basculer dans la rue. Les chômeurs et les jeunes sont les premières victimes des difficultés de logement dans la France de 2014. C'est le constat accablant du dernier rapport de la fondation Abbé Pierre.
Bien sûr, la situation d'aujourd'hui n'a rien de comparable avec celle de l'après-guerre : plus de 50% de la population se trouvait alors dans une situation précaire, contre moins de 10% aujourd'hui. La Fondation Abbé Pierre dénombre cependant dans son dernier rapport annuel 694 000 personnes sans domicile personnel, dont, 280 000 personnes de plus de 25 ans contraints de vivre chez leurs parents ou grands-parents. "Pour la Fondation Abbé Pierre, la situation actuelle est entretenue et exacerbée par la montée du chômage : "l'emploi et le logement paraissent emportés dans une même spirale récessive qui conduit à l'aggravation de la situation des plus fragiles".