La première exhortation apostolique du pape François porte son empreinte et résume son dessein pour l’Eglise : la “mettre en mouvement d’évangélisation”.28/11/2013
En octobre 2012, pour marquer le 50ème anniversaire du concile Vatican II, le pape Benoît XVI avait réuni un synode : quelques centaines d’évêques, élus presque tous par leurs semblables dans les différents pays. Thème : l’évangélisation et la transmission de la foi.
A chaque synode, au terme de leurs échanges, les évêques transmettent au pape un certain nombre de « propositions ». A partir d’elles, le pape rédige une Exhortation apostolique. Il s’agit d’une synthèse que le rédacteur pontifical marque, plus ou moins, de son empreinte.
Pour sa première Exhortation apostolique, le pape François a clairement pris l’option « plus ». Depuis son élection, c’est le premier texte de grande ampleur (235 pages dans l’édition vaticane, il est vrai très aérée) qu’il nous livre et où il se livre.
Les grands medias ont retenu principalement deux thèmes : la réforme de l’Eglise et la mise en cause de l’économie mondiale. Certains ont noté sa condamnation ferme et irrévocable de l’avortement, tout en reprochant aux catholiques de n’avoir pas assez fait pour aider les femmes enceintes vivant des situations de détresse.
Les documents émanant de Rome portent des noms variés, qui font souvent sourire : à côté des encycliques (degré majeur), on trouve des bulles, des brefs, des rescrits, des lettres, des motu proprio, des constitutions. L’exhortation fait partie de la panoplie. Si jamais une exhortation d’un pape a jamais mérité sa qualification d’ « exhortation », c’est bien celle-ci.
Le message est adressé spécifiquement aux catholiques. Le Pape se livre à un examen de conscience, qui pourrait s’appeler aussi « révision de vie » ou « audit », de l’Eglise. Non pas d’un point de vue fonctionnel, mais spirituel. Mis à part son désir de donner plus d’autorité aux conférences épiscopales pour pallier une centralisation excessive, il ne dit rien sur les réformes de la Curie.
Les blocages qui empêchent la joyeuse annonce de l’Evangile sont, avant tout, intérieurs. Ce sont eux qui produisent les scléroses, les fermetures, les peurs, mais aussi les discours sans engagement, les ambitions, les querelles internes. A la « fermeture » (terme qui revient souvent), le pape oppose, non pas « l’ouverture » qui pourrait être une attitude passive et aboutir à l’inondation, mais la « sortie », comme celle des apôtres le jour de la Pentecôte. L’équivalent savant de la fermeture, c’est « l’immanentisme », terme fréquent sous sa plume.
Le Pape se comporte en directeur spirituel, ou « accompagnateur » pour employer le langage actuel, de l’Eglise catholique et de tous ses membres, sans distinguer les évêques, les prêtres, les religieux, les laïcs. Le ton est parfois dur, d’autant plus que le jugement porte sur les motivations intérieures, la « mondanité spirituelle », et non sur les circonstances extérieures. Le pape s’en explique (n° 208). « Ne disons pas qu’aujourd’hui, c’est plus difficile : c’est différent. » (n° 263)
Le lecteur ne risque pas d’oublier que c’est un jésuite qui est devenu pape. Mais, entre temps, il a été archevêque de Buenos Aires. On sait quel était son style pastoral. Il apparaît clairement tout au long de l’Exhortation. Deux mots reviennent un nombre incalculable de fois : les « pauvres » et le « peuple ». Le pape condamne sans appel « l’exclusion », « la culture du déchet », « la mondialisation de l’indifférence », « le marché divinisé ». Il serait intéressant de clarifier les différents sens dans lesquels le pape François parle du « peuple ». Mais il n’y a pas de doute sur l’orientation générale : les « disciples-missionnaires » doivent être avec le peuple, être imprégnés de « l’odeur des brebis ». Il faut tenir le plus grand compte de la piété populaire : c’est un « lieu théologique ».
Vu la longueur de l’Exhortation et la variété des styles, de multiples lectures en sont possibles. Les thèmes sont aussi variés qu’inattendus : quinze paragraphes consacrés à l’homélie cohabitent avec une réflexion sur les qualités respectives de l’espace et du temps Je vous préviens : c’est le temps qui gagne. Les formules abondent. En voici une, synthétique et, je crois, bien représentative : « Mettre l’Eglise en mouvement de sortie de soi, de mission centrée en Jésus Christ, d’engagement envers les pauvres. »
+ Jacques Perrier
Ancien évêque de Tarbes et Lourdes