Dans quelle mesure l’État doit-il intervenir dans l’instruction ? Et dans l’éducation ? La question se pose de nouveau avec acuité alors que l’État semble vouloir se substituer aux parents, et à Dieu lui-même !
« On ne pourra jamais construire un pays de liberté avec la religion catholique ». Cette sortie de notre ministre de l’Éducation Vincent Peillon en dit long sur le climat qui règne actuellement dans l’Hexagone. Entre les questions soulevées par la loi de refondation de l’école et notamment la théorie du genre, les relations entre le ministère de l’Education nationale et l’école catholique se sont tendues au cours des derniers mois.
Il semble donc opportun de reprendre la réflexion sur le rôle de l’État dans l’éducation, et plus précisément dans l’éducation catholique.
Deux auteurs se sont récemment penchés sur ces questions, dans un ouvrage intitulé Catholic Education in the West: Roots, Reality, and Revival. Ainsi, Christiaan Alting von Geusau et Philip Booth (de l’Acton Institute) définissent trois objectifs devant être poursuivis prioritairement dans un système éducatif catholique : tout d’abord celui de fournir un environnement favorable à la construction et au développement de la relation de l’élève avec Dieu, ensuite celui de promouvoir une culture académique tournée vers la recherche de la vérité, enfin celui de promouvoir activement les principes moraux.
Cependant, ces objectif visant au renouvellement et à la promotion de l’éducation catholique se heurtent d’emblée à une question sensible, celle du rôle du gouvernement :
« Le rapport entre éducation catholique et État a revêtu des formes diverses, selon les pays et les périodes historiques. Toutefois, les circonstances dans lesquelles nous devons appliquer la Doctrine Sociale de l’Église dans le secteur de l’instruction publique subissent (…) un ralentissement de la pratique religieuse et une indifférence généralisée envers la religion, dans les hautes sphères des systèmes politiques occidentaux notamment. Dans le même temps, on assiste à une prise de conscience accrue du fait que, pour des raisons pratiques et de principe, les parents devraient avoir une plus grande autonomie dans le choix des écoles. »
Mais ce sursaut collectif, constatent les auteurs, s’accompagne d’une plus forte réglementation des écoles.
Quelle réponse l’Église apporte-t-elle à ces problématiques ?
On retrouve un éclairage précieux aux numéros 133 et 160 du Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église :
«…Le principe de la dignité de la personne humaine, sur lequel reposent tous les autres principes et contenus de la doctrine sociale, ceux du bien commun, de la subsidiarité et de la solidarité. […] L’homme, en effet, dans son intériorité, transcende l’univers et est l’unique créature que Dieu a voulue pour elle-même. C’est la raison pour laquelle ni sa vie, ni le développement de sa pensée, ni ses biens, ni ceux qui partagent son histoire personnelle et familiale, ne peuvent être soumis à d’injustes restrictions dans l’exercice de ses droits et de sa liberté. […] Il est donc nécessaire que les autorités publiques veillent attentivement à ce que toute restriction de la liberté ou tout devoir imposé à l’action personnelle ne lèse jamais la dignité de la personne et à ce que soit garantie la mise en pratique effective des droits de l’homme […] comme personne, c’est-à-dire comme sujet actif et responsable de son processus de croissance, avec la communauté dont il fait partie.»
Et la Constitution pastorale Gaudium et Spes ajoute cet élément fondamental : « L’ordre social et son progrès doivent toujours tourner au bien des personnes, puisque l’ordre des choses doit être subordonné à l’ordre des personnes et non l’inverse. Le Seigneur lui-même le suggère lorsqu’il a dit : ‘Le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat.’ »
Nous comprenons ainsi que ces principes doivent s’appliquer à l’éducation et à l’instruction. « L’éducation ne peut être séparée de la formation de la personne et du développement de sa vocation, qu’elle soit laïque ou religieuse; le fait de limiter la liberté fondamentale en matière d’instruction est une restriction à la liberté de conscience, aux droits des parents et à la liberté religieuse, plus généralement. Des restrictions impropres à la liberté en matière d’instruction et le fait d’imposer le concept d’instruction selon l’État dans toutes les familles reviendrait à subordonner la personne à la société», affirment nos deux auteurs.
Cela nous renvoie inexorablement à la controverse sur « l’enseignement moral et civique » (initialement baptisé morale laïque) imaginé par Vincent Peillon, et qui s’appliquera également aux établissements privés sous contrat.
On peut en outre s’interroger sur la légitimité de l’exhortation du ministre de l’Éducation nationale- adressée en janvier dernier aux recteurs- à respecter « la neutralité de l’État » en n’abordant pas la question du mariage homosexuel, lorsque par ailleurs la porte-parole du gouvernement se déplace dans les écoles pour promouvoir l’homosexualité en compagnie d’associations lesbiennes et gays…
Christiaan Alting von Geusau et Philip Booth rappellent donc que « la liberté d’éduquer les enfants revient en premier lieu aux parents ».
Cet extrait issu de Dignitatis humanae confirme leur assertion : « Le pouvoir civil doit leur reconnaître (aux parents) le droit de choisir en toute liberté les écoles ou autres moyens d’éducation, et cette liberté de choix ne doit pas fournir prétexte à leur imposer, directement ou indirectement, d’injustes charges. En outre, les droits des parents se trouvent violés lorsque les enfants sont contraints de suivre des cours ne répondant pas à la conviction religieuse des parents ou lorsque est imposée une forme unique d’éducation d’où toute formation religieuse est exclue. » (n. 5)
D’où ce développement des deux auteurs précédemment cités : «Cette liberté appartient aux parents à cause de notre nature, donnée par Dieu et grâce au don du libre arbitre […] Étant donné que la liberté en matière d’instruction est une extension de la liberté de conscience et de religion plus généralement, il est important de souligner que l’Église catholique ne demande pas de privilèges pour les parents et les enfants catholiques. […] Les parents peuvent choisir une éducation catholique financée (ou non dans le cas des école hors contrat – note de l’éditeur) par l’État, tout comme l’instruction laïque. Néanmoins, cette liberté n’est pas disponible pour tous les parents. En outre, les parents catholiques peuvent être limités dans leur choix par la volonté des autorisations de l’État (avec souvent de fortes limitations de lieux et dans la construction de nouvelles écoles).
L’Église catholique, dans la promotion authentique de son enseignement, n’entend pas défendre ces accords comme des privilèges. L’Église considère que la liberté en matière d’instruction devrait être la même pour tous les parents, Il s’agit d’un droit humain fondamental qui ne doit pas être simplement un traitement de faveur réservé aux catholiques dans les pays où ces derniers sont suffisamment nombreux.
Ainsi, l’État existe pour protéger tous les êtres humains, même dans l’exercice de leurs droits et de leurs libertés, et pour leur permettre de vivre dans la dignité. Il ne peut s’octroyer de droits arbitraires aux dépends des personnes et des familles».
L’État a bien entendu un rôle dans l’instruction : il doit veiller à sa qualité et il est normal que les parents délèguent l’instruction qu’ils ne peuvent donner eux-mêmes, mais ce rôle d’instructeur ne doit pas se confondre avec le rôle d’éducateur.
Et ce rôle, dans le cadre du principe de subsidiarité, doit «favoriser l’initiative de la famille, au lieu de s’y substituer ».